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« La violence est humaine, pas seulement masculine »
Violence, nom féminin. Si ce n’était pas écrit noir sur blanc dans le dico, on l’oublierait presque. Ouf, la journaliste Moira Sauvage remet les pendules à l’heure, avec son essai Guerrières ! A la rencontre du sexe fort (Ed.Actes Sud, 2012). L’ouvrage compile et analyse ses rencontres avec des dizaines de « guerrières » d’aujourd’hui, se battant contre les clichés et les traditions à leur manière, de la policière ou l’avocate à la guerrillera et la chef de bande. Constat tenace : la violence féminine sous toutes ses formes est rendue invisible, la femme reste confinée dans sa sphère de douce maternité. Pas d’accord, Moira Sauvage pense la violence comme comportement humain. Nous l’avons rencontrée, elle compte bien briser le mythe de la violence sexualisée.
Quelles solutions concrètes proposez-vous pour aller vers la parité ?
L’éducation et la sensibilisation à ces inégalités et dès le plus jeune âge. Il faut apprendre dans les écoles aux enfants à se comporter différemment des stéréotypes qu’on leur impose encore, par exemple à travers les jouets. Les jeunes filles sont tellement modelées par une obligation de séduction, elles ne se rendent même pas compte dans quoi elles sont. On va quand même finir par y arriver ! Essayez de repenser à la vie de vos aïeuls, combien vos vies à vous sont différentes… Quand je veux me remonter le moral, je pense à ma grand-mère !
Le chemin vers la parité n’est-il pas trop long ?
On a passé des lois sur la parité et l égalité. Tout le monde dit « les femmes, qu’est-ce qu’elles ont encore qui ne leur plaît pas ? » Or, quand on monte dans les strates du pouvoir, il n’y a plus que des hommes. On voit quelques rares femmes directrices d’entreprises, des journalistes de télé célèbres. Elles sont très rares, on n’y fait plus attention, on se dit « c’est comme ça, le monde est bien » !
Pensez-vous que la violence pourrait faire changer les choses plus rapidement ?
Je ne suis pas pour la violence. Les femmes qui lancent des missiles sont tout autant condamnables que les hommes qui font ça. Mais ça nous habitue à une autre image de la femme. Et cette habitude peut faire énormément changer les mentalités. Si on laisse les femmes exprimer physiquement une violence, on finira par admettre que la violence est humaine, pas seulement masculine. J’ai beaucoup de respect pour toutes ces guerrières, elles ont réussi à faire ce qu’elles ont envie de faire, et surtout elles ont choisi. Dans le cas des guerrilleras, elles sont toutes satisfaites d’avoir osé le faire et de s’être comportées comme des êtres humains, pas comme la femme qu’on voulait qu’elles soient sous le poids de la tradition ! Je respecte leur engagement, leurs raisons. Les femmes ne sont pas toutes pour la paix, elles ne sont pas si douces que ça, bon sang de bonsoir ! Quel est ce mythe !? J’ai voulu le remettre en question.
Et les magazines féminins… ?
Ah, c’est complètement déprimant ! Surtout, n’allez pas travailler dans les magazines féminins ! D’un côté, il faut défendre les femmes afghanes, et de l’autre si vous n’avez pas ce maquillage là, la jupe comme cela, vous êtes nulle.
Alors que pensez-vous de la mode androgyne, qui confond les deux sexes ?
Ça me fascine assez…. Je pense que ça va tout à fait avec ce que je dis dans la conclusion de Guerrières: un malaise dans le genre. C’est très intéressant que la mode s’en soit emparé. Aujourd’hui les hommes commencent à se maquiller, comme au XVIIIème siècle, d’ailleurs ils étaient beaucoup plus mignons que maintenant – sourire –.
Le genre, c’est ce que vous évoquez dans votre conclusion.
C’est vraiment un débat. Pourquoi on a peur qu’on ne fasse plus de distinction entre un homme et une femme, qu’il n’y ait qu’un genre humain ? Parce qu’on a peur que tout soit mélangé : « Mon Dieu mais si les femmes faisaient tout comme les hommes ? Et si elles ne faisaient plus d’enfants !?» Je pense que dans le fond des esprits, c’est ce qui se dit. Qu’est-ce qui se passera pour la reproduction ? Que deviendra la société ? Evidemment c’est stupide, puisqu’on peut toujours avoir des enfants et faire un métier d’homme. Mais je crois que c’est ça la peur profonde. Une peur ancestrale.
Votre société idéale c’est une société du genre humain.
Une société idéale, c’est une société où on naît et on fait partie du genre humain. On est d’abord un être humain et ensuite de sexe féminin ou masculin. Pour la reproduction, l’amour, ça fait partie de la vie qu’il y ait deux sexes. Mais le reste de la vie, le travail, on est un être humain. Il faut reconnaître qu’on a tous de la douceur et de la violence, et qu’on ait le droit de les exprimer comme on veut les exprimer, et non pas de cette façon parce qu’on est une fille et de cette façon parce qu’on est un garçon. Ça me semblerait une société idéale. Avec une vraie égalité. Qu’on garde cette différence sexuelle pour une partie de notre vie: la reproduction. Que chacun puisse être comme il veut être. Ces guerrières montrent une nouvelle voie, une nouvelle façon d’être en tant que femme.
La religion, n’importe laquelle, est-elle compatible avec la parité ?
Je ne connais pas toutes les religions. Mais Jésus disait quand même « vous êtes tous frères »… Il paraît qu’il avait des comportements favorables à l’égalité, vis-à-vis des prostituées par exemple. Mais en général, la femme fait peur dans la religion. C’est pour ça qu’on a tenté de l’enfermer dans la sphère de la reproduction. Elle avait un pouvoir de maternité que les hommes ne comprenaient pas.
Quels sont les mouvements féministes dont vous vous sentez le plus proche?
J’aime beaucoup La Barbe parce qu’elles sont vraiment drôles. Elles dénoncent le fait qu’il y ait très peu de femmes dans les sphères du pouvoir. Elles sont essentielles. L’humour aussi peut être une arme. Osez le féminisme me plait bien aussi, elles sont jeunes et il y a des hommes. Elles n’ont pas coupé les ponts avec les anciennes féministes, elles ont voulu réunir. J’ai assisté à deux grandes réunions avec quarante associations, elles montrent bien que l’union fait la force. Quant aux Femen, elles n’auraient pas eu le buzz qu’elles ont eu si elles ne se dénudaient pas. Elles attirent l’attention, mais elles manquent de discours. J’admire leur courage, elles risquent beaucoup dans leur pays en faisant ça : quand on ne parlera plus d’elles, elles risquent la prison ou le viol. Ce n’est pas comme être féministe en France. Je ne suis pas archi convaincue que montrer ses seins est la meilleure des solutions… Elles ont fait parler de la prostitution, elles ont réussi, mais à long terme, je ne sais pas.
Vous avez évoqué l’idée d’un prochain livre…
Je ne veux pas trop en dire. Ça concernera sûrement l’invisibilité des femmes dans les sphères du pouvoir. Je veux encore écrire sur des gens formidables, j’aime les rencontrer et j’aime les faire connaître.
Propos recueillis par Marie Gonzales et Elvire Simon