Après les jasmins, les chrysanthèmes ?

Mercredi 6 février, Chokri Belaïd, avocat, figure de la gauche tunisienne et fervent opposant au régime, a été assassiné. Tout porte à croire que c’est un assassinat politique. La Tunisie est sous le choc. Le Premier ministre islamiste, Hamadi Jebali, a annoncé la formation d’un  « gouvernement de compétences nationales sans appartenance politique ». Un appel à la grève générale a été lancé le lendemain. Retour sur les évènements.

La foule réunie autour du cercueil. Photo : AFP

La foule réunie autour du cercueil. Photo : AFP

Trois balles à bout portant. Deux dans la tête et une dans le cou. Puis l’assassin prend la fuite à moto avec un complice. C’est le Premier ministre qui a rendu publique la mort de Chokri Belaïd. Des centaines de personnes se sont immédiatement rendues devant la clinique où il a succombé à ses blessures. Ils ont ensuite escorté l’ambulance qui transportait la dépouille jusqu’à l’avenue Bourguiba, où des milliers de Tunisiens s’étaient rassemblés. Les manifestants réclament une nouvelle révolution, cette fois sans Ennahda, le parti islamiste au pouvoir. Mais surtout, sans violence. Comme lors de la première révolution, la police a dispersé la foule avec des gaz lacrymogènes. Vendredi 8 février, des milliers de personnes se sont réunies pour les obsèques de Chokri Belaïd à Djebel Jelloud (banlieue de Tunis), scandant « Avec notre sang et notre âme, on se sacrifie pour le martyr. »

Un acte pas si surprenant

Depuis plusieurs mois, la violence est omniprésente en Tunisie. Elus, représentants de l’opposition, journalistes, syndicalistes… Tous sont pris pour cible. La mort de Chokri Belaïd n’a rien de très étonnant. Pour le moment, l’assassin n’a pas été identifié, mais les islamistes sont évidemment pointés du doigt. Ce week-end, un congrès de sa formation politique (le Mouvement des patriotes démocrates, rallié au Front populaire depuis le mois d’octobre) a déjà été attaqué par les islamistes. Le jour de son assassinat, un article qu’il avait écrit paraissait, dénonçant les méthodes d’Ennahda pour conserver le pouvoir. Et ce n’était pas la première fois que cet homme, figure emblématique de l’opposition, exprimait ses idées anti-islamistes dans les médias.
Le Front populaire, coalition d’extrême gauche et troisième force politique du pays, ne dispose que d’un siège à l’Assemblée constituante malgré un nombre conséquent de militants. Le gouvernement est hostile à cette formation, et plusieurs élus ont déjà critiqué ouvertement Chokri Belaïd. Selon sa veuve, il avait même été menacé à plusieurs reprises. Sa mort pourrait « sauver » la Tunisie… ou l’enliser dans un climat de violence.

Chokri Belaïd savait faire entendre sa voix. Photo : DR

Chokri Belaïd savait faire entendre sa voix. Photo : DR

Apprendre la démocratie… à quel prix ?

La transition démocratique sera encore longue et fastidieuse, c’est certain. Les révolutionnaires de 2011 en avaient conscience, mais ils n’avaient sûrement pas imaginé retomber si vite dans la colère et l’oppression. L’inquiétude grandit, dans l’opposition comme au sein de la majorité. Un homme meurt, et c’est l’espoir de tout un peuple qui s’envole. L’espoir de voir naître une Tunisie nouvelle.
La presse, elle aussi, est inquiète, et ne semble plus aussi confiante en l’avenir. Sur son site internet, le quotidien La Presse de Tunisie se demande si le pays « a basculé dans l’horreur ». Le journal Le Quotidien tire la sonnette d’alarme : « il est clair que plus personne n’est dorénavant à l’abri des expéditions de liquidation d’escadrons de la mort ».
Même le Premier ministre, islamiste pourtant, semble avoir peur de l’impasse politique dans laquelle se trouve la Tunisie. Il a annoncé, après la mort de Chokri Belaïd, «  la formation d’un gouvernement de compétences nationales, n’appartenant à aucun parti, travaillant pour l’intérêt de la Nation et dans le cadre d’une mission précise, à savoir la direction des affaires du pays jusqu’à l’organisation rapide des élections ». Le parti islamiste Ennahda a refusé cette proposition. Deux heures après que ce refus a été communiqué, les manifestants ont mis le feu au siège du parti à Siliana (dans le Nord-Est du pays). Le président laïc Marzouki, lui, n’est pas contre l’idée d’un gouvernement apolitique, mais affirme que le Premier ministre ne lui a pas présenté en détail ce projet.

Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de solution miracle. Il faudra encore du temps, et sûrement des sacrifices, pour atteindre la stabilité politique. Ce qui est sûr, c’est qu’une deuxième révolution a commencé. Tout porte à croire que la force de la Tunisie, c’est son peuple. Et rien ne semble pouvoir arrêter la marche vers la démocratie.

Romane Idres