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Passer la frontière italienne quand on est clandestin
Il est 20 heures à l’horloge de la gare de Vintimille. Six personnes descendent du train en provenance de Milan. Très peu vêtus pour un mois de janvier, ils n’ont pas de valise à la main, un simple sac plastique leur suffit à transporter leurs biens. L’un d’eux, un petit garçon de 12 ans, a pour seule fortune un paquet de chips qu’il tend gentiment à qui en voudra.
Une chaîne de solidarité
Sameh est venu à Vintimille en voiture. Il vient y chercher son frère Wahel, qui arrive clandestinement d’une Syrie qu’il a fuie il y a cinq mois. La voiture, Sameh l’a empruntée à une camarade étudiante à la fac de Nice. Il a contacté un ami afin de le relayer pour conduire jusqu’à Vintimille, un autre lui a prêté un GPS. Sa petite-amie l’attend dans la cuisinette de la cité universitaire en train de préparer un repas pour son frère et lui. Tout un petit monde s’organise pour permettre à Wahel de passer la frontière. La solidarité n’est pas à sens unique. Sameh compte bien lui aussi, faire sa « B. A. ». Il prend dans sa voiture les cinq autres émigrés clandestins avec qui Wahel transite depuis la Grèce. Son frère à l’avant, trois passagers derrière et deux dans le coffre, la voiture démarre.
Un passage sous haute surveillance
C’est sous les yeux de la police italienne que le moteur de Sameh vrombit. En civil, deux policiers surveillent la petite bande depuis sa sortie du train. Ils entrent dans leur voiture banalisée et prennent Sameh en filature. Au péage pour atteindre la E74 (à la sortie de Vintimille), ces mêmes policiers barrent la route au convoi. « Il bambino, il bambino, nazionalità ? nazionalità ?» martèlent les deux policiers après avoir confisqué les clefs de Sameh, qui s’est rangé sur le bas-côté. Personne n’est autorisé à sortir de la voiture. Chacun fournit ses papiers. Tous disposent d’une autorisation de séjour d’un mois sur le territoire italien. Tous, sauf un homme dans le coffre. Les policiers savent que deux hommes s’y cachent. Pourtant ils ne demandent pas à ce qu’on ouvre le coffre. Une demi-heure plus tard, Sameh, Wahel et les trois autres exilés de la banquette arrière se retrouvent au poste de police de Vintimille. Les forces de l’ordre vérifient que chaque titre de séjour soit valide. Et surtout que le jeune grec soit bel et bien le fils du monsieur qui prétend être son père. C’est visiblement le cas. « Partez tranquille, partez tranquille » lance un des policiers, dans un effort de traduction. D’après Sameh, les gardiens de la paix italiens leur ont tout simplement fait comprendre qu’il fallait qu’ils quittent l’Italie. Les six clandestins passent la frontière et arrivent à Nice sans encombre.
Persona non grata
L’enfant. Voilà pourquoi la police a été obligée d’intervenir. Le trafic d’enfant est très surveillé en Europe et encore plus à ses frontières. Une fois la filiation approuvée, les six clandestins ont pu repartir, tranquilles. Et pour cause… La ville de Vintimille ne souhaite pas retomber dans la situation critique de 2011 où des centaines de clandestins tunisiens sont arrivés en masse dans la ville. Tous dormaient dans la gare ou les jardins publics en attendant un permis de séjour italien. Celui-ci permettait selon les directives italiennes de passer la frontière en toute légalité. Le maire de la ville, Gaetano Scullino, en appelait à la solidarité européenne, pour que chaque pays d’Europe accueille une partie des clandestins. La politique française de l’immigration n’était pas vraiment sur la même ligne, et reconduisait sans cesse les clandestins en Italie.
Aujourd’hui les tendances en matière d’immigration semblent être toujours les mêmes. La douane italienne paraît fermer les yeux sur le passage illégal à sa frontière et la France elle, traque ceux qui y parviennent. Les derniers chiffres clairement annoncés datent de Nicolas Sarkozy en 2006 : 400 000 clandestins chaque année entraient sur le territoire français. Depuis, le ministère de l’intérieur n’a pas communiqué de nouveaux chiffres et les polices locales préfèrent garder le silence sur le nombre d’entrées clandestines dans les Alpes-Maritimes.
Tabou ? Sujet sensible ? Tout laisse à penser en tout cas que le nombre est en croissance permanente, depuis le début des printemps arabes. Ce sont maintenant les Syriens qui longent les voies du tunnel sous la montagne reliant l’Italie et la France, autre méthode privilégiée pour passer la frontière. Car pour des exilés, le jeu en vaut la chandelle.
Lucile Dalmasso
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