
Étiquettes
Les chevaux de Dieu : un Marocain nous parle du Maroc
Nabil Ayouch est sans doute le plus connu et le plus talentueux des réalisateurs marocains. En tout cas, sans tabou, il l’est. Son septième film, Les chevaux de Dieu, est tiré de faits réels : une série de cinq attentats suicide qui ont touché la ville de Casablanca le 16 mai 2003. Commis par des jeunes connus du bidonville d’en face, et non pas par des étrangers, le Maroc entier en avait été bouleversé. Le réalisateur s’attache à comprendre ces jeunes martyrs.
Un film en miroir

Les Chevaux de dieu a été présenté en avant-première au Festival de
Cannes, dans la section Un Certain Regard. Photo : DR
Miroir de l’actualité d’abord. En salle depuis le 20 février, Les chevaux de Dieu nous fait l’effet d’un mauvais souvenir, d’une claque dans la gueule. Il y a à peu près un an, le 11 mars, Mohamed Merah revêtait l’habit du Mal. Il tuait lui aussi, froidement, au nom d’idées islamiques. Après l’horreur, la torpeur : nous avions appris que le « tueur au scooteur » n’était rien de plus qu’un de nos compatriotes, petit gars des quartiers toulousains. Notre histoire est aussi celle qui a touché le Maroc en 2003. La ville de Casablanca avait alors été la cible de cinq attentats terroristes. Faisant 41 victimes, ces attentats étaient l’œuvre de gamins issus du bidonville marocain Sidi Moumen. Nabil Ayouch se base sur ces faits pour nous conter l’histoire de deux jeunes frères, Hamid et Yachine, de leurs parties de foot à la prison pour deal, de la prison à l’Islam radical. Habdellilah (Hamid) et Hakim (Yachine) Rachid qui sont également frères dans la vraie vie, sont les révélations du film. Oscillant perpétuellement entre l’enfance et le monde des adultes, le film montre parfaitement bien la réalité des bidonvilles qui mène ces enfants à basculer d’un monde à l’autre. Des résonnances cinématographiques concrètes qui témoignent autant de la violence dans laquelle baigne Hamid et Yachine (une scène de mariage entre adultes, rejouée par les enfants dans un salon déserté par les parents) que de la misère qui brise leurs rêves à tout jamais (qu’ils soient petits ou grands, ils ont toujours les mêmes occupations et donc n’évoluent pas…).
Sidi Moumen : un lieu, un personnage, un cri
Les Chevaux de Dieu n’est pas vraiment un film sur l’islamisme, le terrorisme ou le djihad. De toute manière, les spectateurs connaissent dès la scène d’ouverture le tragique destin d’Hamid, Yachine et de leur ami Nabil. Non, là n’est pas le véritable thème du film. La religion est d’ailleurs totalement absente dans la première partie du film. Nous avions déjà entendu parler des favelas au Brésil, nous connaissions les cortiços d’Inde, les bidonvilles du Caire. En revanche nous connaissions bien moins, ignorant même jusqu’à leur existence, ceux du Maroc. Nabil Ayouch répare cette erreur. Les ruelles –escarpées- de Sidi Moumen, les toits -sinistres- de Sidi Moumen, le marché-dominé par une « mafia »- de Sidi Moumen… La mise en scène du quartier d’origine des futurs terroristes est un leitmotiv du film. Sidi Moumen est donc un lieu. Un lieu cruel pour de simples enfants. D’ailleurs Yachine n’est qu’un surnom. Yachine se nomme en réalité Tarek. Il se fait surnommer ainsi en honneur à Lev Yachine, un joueur de football russe auquel il rêve, un jour, de ressembler. Il ne se fera appeler par son vrai prénom que lorsqu’il n’aura plus aucun rêve, lorsqu’il se sera converti à l’Islam radical. « Volez chevaux de Dieu et à vous les portes du paradis s’ouvriront », lui dit l’imam. Il le croit. De toute façon à Sidi Moumen, il n’a plus rien à espérer. Le véritable thème du film est en réalité la misère. La misère de ces bidonvilles qui est trop souvent le point de départ de la déviance vers l’extrémisme. Les Chevaux de Dieu dénonce la réalité de ces milieux ruraux, totalement délaissés par le gouvernement.
Méline Escrihuela