La vie en rose de Zahia

Zahia s’est fait connaître en 2010 par un scandale de prostitution qui impliquait deux célèbres joueurs de l’équipe de France de football : Karim Benzema et Frank Ribéry. Sa réputation était faite, elle n’était qu’une pauvre fille utilisée par des plus puissants qu’elle, une victime, une « gourde », etc. Le documentaire Zahia de Z à A, diffusé le 22 janvier sur Paris Première et réalisé par Hugo Lopez nous montre une autre facette et l’on doit bien admettre que cette fille est loin d’être une triviale call-girl qui aurait accédé à la gloire par un scandale scabreux.

Évacuons dès maintenant les points négatifs : oui, Zahia est agaçante, dans sa façon de parler, dans sa façon de marcher, dans sa façon de garder toujours les yeux écarquillés, un air ingénu, oui parfois on a envie de la prendre par les épaules et lui dire « Réveille-toi ! C’est pas ça le monde !  » Elle répète souvent les mêmes choses, elle dit toujours « oui », « tellement », « j’adore », « oui », « oui », « oui » … Elle fait de tous petits pas et parfois, elle monte les escaliers comme les enfants, les deux pieds sur une seule marche. Pour une raison simple : Zahia est encore une enfant.

Elle et son contraire

Zahia est pleine de paradoxes. Elle évolue dans un monde d’enfant, qu’elle voit à travers les yeux d’une enfant, pourtant, elle a grandi bien trop vite. « Depuis très jeune je ne fréquente que des personnes plus âgées que moi », « Je ne sais pas comment faire avec les hommes de mon âge », « Je n’avais qu’une seule hâte, c’était de grandir ». Quand le scandale de 2010  éclate, elle n’a que 17 ans. Pour rappel, les deux footballeurs français avaient eu des rapports sexuels tarifés avec elle. De cette période elle dit que « c’était horrible« , ça ne devait être qu’un « passage de [sa] vie », et elle s’est retrouvée avec une étiquette collée sur son affolante chute de reins. Elle s’est alors dit qu’elle n’avait plus d’avenir, et qu’elle ne pourrait jamais concrétiser ses dessins de mode et ses rêves d’enfant, parce que les gens penseraient qu’elle profitait d’une gloire mal-acquise pour faire de l’argent. Ses dessins, ses projets de mode, ses ambitions, elles les avaient avant tout ça. Elle n’est pas opportuniste.

Zahia Dehar est très attachée à la galanterie. Les hommes doivent considérer les femmes comme des cadeaux. Photo : DR

Zahia Dehar est très attachée à la galanterie. Les hommes doivent considérer les femmes comme des cadeaux. Photo : DR

Un autre contraste est évident, celui qui existe entre sa personnalité et son physique. Une apparence fantasmagorique, chaude, excitante, et un caractère doux, timide et discret. Zahia parle peu, elle ne le fait que quand elle sent que c’est nécessaire. C’est pour cela qu’elle utilise toujours les mêmes expressions. Ce ne sont que des formules toutes faites qui lui permettent de s’exprimer sans avoir à s’ouvrir, à se livrer. On ne sait jamais ce que pense vraiment Zahia. Hugo Lopez parvient tout de même à obtenir des réponses, il arrive à la faire s’exprimer sur son passé, son arrivée en France, son mode de vie dans la période où elle sortait avec des gens plus âgés, sa vision de la femme, de la mode, etc. Souvent ses réponses sont courtes, mais le silence de son interlocuteur la pousse à en dire plus. Parce qu’elle sent que c’est nécessaire justement, pour lui, pour son reportage, mais aussi pour elle, pour profiter de la caméra pour exprimer ce qu’elle veut que les gens sachent.

Une chance méritée

Une question reste en suspens, celle de ses finances. Zahia a tout ce qu’elle veut, elle a des meubles sur mesure, des robes par dizaines, elle séjourne dans les plus beaux hôtels, dans les suites les plus chères, elle a un maquilleur, une coiffeuse, des stylistes, elle emploie plusieurs personnes pour son atelier de création, elle a des chauffeurs… Le commentaire audio nous apprend que c’est un investisseur hong-kongais qui l’entretient, « point« . On n’en saura pas plus parce qu’elle n’a pas souhaité en dire plus. Zahia a la vie d’une princesse, celle dont la majorité des petites filles rêvent encore. « Pour moi, c’est ça la réalité. » Elle a une chance immense, pourtant on ne peut pas lui en vouloir. Contrairement à des Paris Hilton ou Kim Kardashian, elle a travaillé pour en arriver là, elle a traversé des périodes difficiles aussi, elle a dessiné, elle a créé une ligne de vêtement, elle a su se créer des contacts, former un réseau, même si elle a fait, par là, de mauvaises rencontres. On ne peut que l’admirer, finalement. Pour ses courbes surréalistes, pour sa reconversion, pour son travail acharné et sa détermination, même pour sa vision de la femme que certains jugeront obsolète. Une femme est une « œuvre d’art« , elle est précieuse, et la galanterie ne devrait jamais disparaître.

Zahia est bien une poupée, mais pas une poupée gonflable

Zahia en couverture de l’édition espagnole du prestigieux magazine de mode V, en 2011. Photo : DR

Zahia en couverture de l’édition espagnole du prestigieux magazine de mode V, en 2011. Photo : DR

Elle aurait sa place dans les années soixante, une pin-up douce aux yeux de biche, fan des vieux films égyptiens et du charme de leurs actrices. Elle raconte que depuis toute petite elle adore se maquiller, s’habiller comme une femme. La coquetterie fait partie d’elle. « Déjà à trois ans je me maquillais, et je me coiffais. Quand on voulait m’en empêcher, je pleurais. (…) J’aime que les robes soient serrées, partout sur mon corps, parce que ça me permet de me sentir bien.” Et d’ajouter : « Il fallait que je parle de ça parce que je savais qu’il y aurait des gens qui diraient « Ohlala mais c’est ridicule, être passionné par des cheveux et du maquillage. » On a le droit d’être passionné par ce qu’on veut. Je suis authentique. » Pendant son défilé, elle apparaît sortant d’une boîte qui rappelle sans équivoque les emballages des poupées Barbie.

Son studio est complètement rose, avec des nuages partout, elle s’est créé un fauteuil avec pour dossier des oreilles de lapin matelassées. Un tableau sur lequel s’étalent des marques de baisers orne le couloir. Des tapis moelleux amortissent le son de ses hauts talons. « Quand je ne me sens pas bien, je regarde autour de moi et ça va mieux. Voir de belles choses ça me redonne le sourire. »

Lopez nuance tout de même ce monde tout beau tout rose à la fin du documentaire : « C’est l’itinéraire d’une jeune fille de vingt ans qui vit à travers le prisme de son imagination. Pourtant, souvent, elle m’a semblé rattrapée par des enjeux trop lourds à porter pour une personne de son âge. Je sens que Zahia est hantée par des fantômes difficiles à cerner. Elle sait raconter, oui, mais à sa manière, et continue à garder pour elle une grande part de son mystère. »

Lucie Hovhannessian

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