
Étiquettes
Pas très gaie la vie avec Liberace
Présenté en compétition du Festival international du Film de Cannes, Ma vie avec Liberace (Behind the Candelabra), est en salle depuis mercredi.
La critique cannoise avait été séduite par cette histoire d’amour, de strass autrichiens et de showbusiness à l’américaine, somptueusement mise en scène par Steven Soderbergh et interprétée par Michael Douglas et Matt Damon. Alors qu’il a été jugé « trop gay » par Hollywood et n’est pas sorti dans les cinémas américains, l’homosexualité des protagonistes est loin d’être l’élément le plus marquant ni le plus important du film.
Liberace (Michael Douglas) est un pianiste de music-hall de renom à Las Vegas. Homosexuel sans que le grand public ne soit au courant, il aime séduire et prendre sous son aile de jeunes garçons. Scott (Matt Damon) tombe sous le charme, se laisse entraîner par le charismatique « Lee » et passe en tout cinq années de sa vie avec cet homme, précurseur du showbusiness à l’américaine tel qu’il s’étale dans les médias du monde entier à l’heure actuelle.
Ça ne vous aura pas échappé à la vue de la bande-annonce et des affiches, le film est étincelant ! Littéralement. Les décors sont saturés de strass, d’or, d’argent, les personnages sont couverts de bijoux et de grand manteaux de fourrure, les garages sont remplis de voitures de luxe, même le piano de scène de Liberace est recouvert de paillettes ! Mais au-delà du candélabre flamboyant inconditionnellement posé sur le piano, au-delà des apparences modifiables à souhait grâce à la chirurgie esthétique, au-delà des cadeaux à volonté de la star à son protégé, l’émotion. Émotion des personnages dans l’écran, et de ceux qui sont devant. Soderbergh met en scène Scott et Lee avec une telle finesse que le spectateur a l’impression que la vie a changé de côté, le vrai a traversé le tissu blanc et est allé se loger dans les images éblouissantes de Liberace.
On assiste ébahis à l’évolution de leur relation indéfinissable : Liberace est tantôt père quand il souhaite adopter Scott, mécène quand il lui offre un appartement et de nombreux bijoux, ami quand il se confie sur l’oreiller à propos de sa première expérience sexuelle, et Narcisse quand il demande à son chirurgien (l’excellent Rob Lowe) d’opérer le visage de Scott de façon à ce qu’il lui ressemble. Ils ont chacun tellement de rôles à jouer, tout se mélange et bientôt toutes sortes de dépendances commencent à les affecter. La plus fatale sera celle de Scott traitement médicamenteux prescrits par le chirurgien, puis la cocaïne, l’alcool. Des psychotropes qui ne feront que renforcer son addiction à l’homme qu’il aime, sa jalousie et sa paranoïa.
La salle rit beaucoup moins pendant la seconde moitié du film que devant la première, légère et frivole. Toute la douleur de Scott et le désespoir de Lee prennent le spectateur aux tripes. Dans un décor idyllique, tout s’effondre. Un décor que Scott détruit, quitte, et ne reverra que pour dire adieu au pianiste étincelant victime des complications du virus du sida, dont il décédera.
Steven Soderbergh signe une belle romance derrière laquelle se cache peut-être un message plus large sur ce que peuvent masquer les apparences, sur ce qu’on ne voit pas dans les coulisses des tapis rouges et plateaux télé, ce qu’on ne verra jamais derrière les rideaux, les écrans, les photos, ce qui se trame derrière les candélabres scintillants du showbusiness.
Lucie Hovhannessian