Olivier Laban-Mattei : « penser à rester vivant ! »

Après avoir couvert pendant cinq ans l’actualité nationale et internationale pour l’AFP, Olivier Laban-Mattei choisit en 2010 le statut de reporter photographe indépendant. Il collabore désormais avec des journaux à grand tirage tels que Le Monde, The Herald Tribune, The Wall Street Journal, ou encore le New York Times.

Le photo-reporter accompagné de son fils de 12 ans a sillonné la Mongolie, un pays en pleine évolution afin de montrer ce monde qui change. C’est à l’occasion  D’histoires en mai, un festival du livre à Bastia qu’Olivier Laban-Mattei présente son livre Mongols. Nous l’avons rencontré, à peine arrivé, mais déjà disponible et souriant.

Olivier Laban Mattei, à la recherche d'une éternelle authenticité. Crédit DR

Olivier Laban Mattei, à la recherche d’une éternelle authenticité. Crédit DR

Buzzles : Les «strass et paillettes » du Festival de Cannes ne vous ressemblent pas, pourquoi le couvrir cette année ?

Olivier Laban-Mattei : C’est le journal Le Monde qui m’a une nouvelle fois demandé de couvrir le festival. Je leur ai proposé de travailler au Polaroïd, ça donne un aspect rétro. On a également décidé, avec le journalde fixer des rendez-vous et donc de prendre le temps avec les gens. C’est aussi un message politique : on prend le temps de faire de la photo et on prend le temps avec les gens. J’ai vécu des moments humains géniaux. Par exemple, Claude Lanzmann m’a écrit un vers de Victor Hugo sur un de mes Polaroïds.

Je veux revenir à des vieux trucs. Les images, de nos jours sont lisses. Tout est lisse et ça m’ennuie. On nous amène à la perfection, qui n’est pas le propre de l’Homme. Sur le tapis rouge à Cannes, les plus photographiées sont les égéries de marque, qui posent, et pas les bons réalisateurs ! Ça en dit long sur le monde dans lequel on vit.

Il faut prendre le temps d’aller au fond des choses pour éviter les clichés. Le temps est un luxe. C’est pour cela que je suis devenu indépendant : pour prendre le temps dans mes sujets et être plus près de ce qui est vrai. Prendre le temps, c’est le meilleur moyen d’être honnête, le plus beau des luxes.

Quelles ont été les zones les plus difficiles à couvrir ?

C’est Haïti, après le tremblement de terre. Ça m’a fait prendre conscience que je devais quitter l’AFP. Décréter qu’il y a des morts et des blessés puis passer à autre chose ? Non, c’est un choc humain. Je n’ai jamais vu une telle catastrophe, c’était apocalyptique ! La révolution en Tunisie, aussi, était dure, j’ai perdu mon pote Lucas… C’est là que j’ai compris : je dois penser à rester vivant !

Qu’est-ce que vous voulez montrer avec vos photos?

J’ai envie que mes photos rapprochent les gens. Je parle « d’effet miroir ». Si je montre quelqu’un qui souffre, j’aimerais qu’on se dise « cette personne pourrait être moi ». Casser les distances, avaler les kilomètres ! Un peu d’empathie, un peu de compassion et on aura gagné. Je veux que mes photos puissent éveiller les consciences et si quelqu’un souhaite, grâce à elles, faire de l’humanitaire…Welcome ! Mais je sais que la photo n’arrête pas les guerres.

Des anecdotes en particulier ?

En Birmanie, après le cyclone Nargis : je me cachais car la presse était interdite. On était sur une pirogue et en arrivant un vieux monsieur nous accueille avec un très grand sourire. Je lui demande pourquoi il sourit tant et il me répond « J‘ai perdu ma femme, mes enfants, ma maison et mon bétail, si je perds le sourire, alors je n’ai plus rien…».

A Haïti, des policiers ont tiré dans ma direction et un homme s’est mis devant moi pour me protéger, il a pris la balle dans la tête ! Heureusement, il n’est pas mort. Ce sont de vraies leçons de vie !

En quoi l’AFP a-t-elle influencé votre manière de travailler, et quels sont les points forts et les limites du photo-journalisme ?

L’AFP m’a appris la rigueur. Et le point fort du photo-journalisme est de pouvoir frapper rapidement les consciences : le fond appelle la forme. Cependant la photo est limitée par le cadre. On ne peut pas tout raconter en photo et puis, la place qu’on nous accorde dans le magazine est contraignante…

Pourquoi la Mongolie pour votre dernier livre ?

C’est un pays en totale mutation. Ce sont des gens dans un paradoxe qui parfois mène à la schizophrénie. Ils sont très attachés à la nature. Ils mettent même des chaussures retroussées au bout pour ne pas écorcher la terre, et pourtant le pays se dirige vers le capitalisme et le libéralisme. Il est d’ailleurs très pollué.

C’est un peuple à part et je veux savoir comment ça se passe dans la tête des gens, travailler sur d’autres formes de souffrances que celle de la guerre.

Photographie : objectivité ou subjectivité ?

La photographie est totalement subjective : Quand tu es à côté des rebelles en Syrie et que tu te prends des bombes de 500 kilos sur la tête, t’es forcément orienté à un moment. C’est moi qui décide de la manière dont je cadre, la photographie est dépendant de celui qui est derrière. L’information pure n’est pas possible.

Enfin, si on vous enlevait votre appareil photo, vous feriez quoi dans la vie?

J’écrirais ! La photographie c’est comme écrire. Je veux transmettre, peu importe la technique.

 Jessica Coudurier