Bulgarie : Les Inaudibles face aux sourdes oreilles (2/2)

Est-il possible que des milliers de citoyens qui manifestent pacifiquement depuis le 14 juin dernier ne soient pas entendus ? Pourquoi aucun média ne relaye leurs revendications depuis près de cent jours ? Est-ce normal que les parlementaires fuient les réclamations de ses citoyens ? En Bulgarie, les protestataires infatigables se sont donné un triste surnom : les Inaudibles. Enquête sur un pays au bord de la rupture sociale.

Café et spectacle de danse

Plus de cents jours. Cet après-midi du 22 septembre, Nadezhda téléphone à sa mère, restée chez elle. « Nous sommes des milliers à boire le café devant le Parlement. Des jeunes, des vieux, des fonctionnaires, des artisans. Tu devrais nous rejoindre, il n’y a pas de débordements car ici, c’est nous qui faisons la sécurité ! ». Journaliste dans une grande chaine de télévision bulgare depuis deux ans, elle a jeté l’éponge le 15 juin – au lendemain de la nomination de Peevski – et manifeste tous les jours dans les rues de Sofia. « J’en avais marre de faire de la propagande dans les journaux télévisés. Faux politiciens, oligarques et mafieux : il faut savoir dire stop ! La démocratie doit être appliquée, ce qui veut dire que c’est le peuple bulgare qui gouverne, et non ces hauts fonctionnaires avares qui restent sourds à nos revendications. » Justement, ces défenseurs de l’indépendance des médias, d’une plus grande transparence et d’un renouveau politique ont choisi comme surnom… Les Inaudibles.

Un qualificatif cruellement réaliste puisque, plongé en pleines négociations au sujet de la Syrie, le monde peine à prêter attention à ce pays, où les intérêts économiques sont minimes comparés aux sous-sols pétroliers du Moyen-Orient. Pour attirer l’attention des médias, les manifestants ont opté pour des nouvelles formes de protestations : spectacles de danse en pleine rue, pièces de théâtre comiques sur les places publiques, cafés géants en face du parlement bulgare pour débattre du futur du pays…

Signe de protestations pacifiques, ces femmes dansent en tenue traditionnelle au centre-ville de Bourgas. (Photo D.R.)

Signe de protestations pacifiques, ces femmes dansent en tenue traditionnelle au centre-ville de Bourgas. (Photo D.R.)

En vain. Personne ne daigne s’intéresser à leur cause. Certes, la nomination litigieuse du chef de l’Agence de sécurité bulgare a été annulée. Certes, le gouvernement a effectué une légère hausse des salaires. D’accord, des élections locales sont prévues prochainement. Toujours est-il que les mêmes têtes dominent le haut de la pyramide, que les réseaux mafieux s’enrichissent au point de s’internationaliser et que les jeunes fuient par centaines ce pays qui ne fait rien pour les aider – les inscriptions dans les universités ont augmenté de 7 % cette année – quand les occidentaux relaient chaque jour des images insoutenables des massacres en Syrie, les marches pacifiques de Bulgarie ne résonnent nulle part. « Personne ne prête attention à notre cas. Jamais dans un pays européen une nation n’a défilé si longtemps : le cap des 100 jours va être franchi. C’est énorme ! Et pourtant, les yeux sont braqués ailleurs. On ne perd pas espoir, même si j’ai peur que la mobilisation s’atténue avec la rentrée scolaire » concède Stefan. On abandonnerait donc à son sort une population vivant sur ces terres spoliées qui fait preuve de tant de courage et d’abnégation ? A croire que sans attentat à la voiture piégée, sans émeutes meurtrières et sans intérêts financiers particuliers, relayer l’info n’en vaut pas la peine.

Vincent Bourquin