Sophie Bouillon raconte Dainfern, La cité idéale 

Située à quelques kilomètres de Johannesburg, en Afrique du Sud, Dainfern est « la cité idéale ». Il y fait toujours beau, les gens y sont toujours agréables, mais surtout, la sécurité y est infaillible. C’est ce que révèle Sophie Bouillon dans les pages du n°23 de la Revue XXI.

Dainfern et son cadre enchanteur. (D.R.)

Dainfern et son cadre enchanteur. (D.R.)

Dainfern. C’est là que sont venus trouver refuge, depuis sa création en 1995, stars, hommes d’affaires et multimillionnaires. Sophie Bouillon, journaliste pour la Revue XXI et Courrier International nous livre un récit de la vie que l’on mène « sous le ciel bleu de la cité idéale ». Reporter pour Libération et pour la Radio Télévision Suisse, elle a couvert l’actualité de l’Afrique du Sud durant cinq ans. C’est à ce moment qu’elle est, pour la première fois, tombée par hasard dans cette cité hors du temps. Elle y retourne plusieurs fois par la suite. Au détour des rues, à travers des sensations et des rencontres, elle fait vivre dans son reportage, l’atmosphère angoissante qui y règne. Ici il y a des terrains de golfs, des rues soigneusement entretenues, et surtout, on laisse les portes des garages ouvertes, chose impensable dans les townships situés un peu plus loin que l’horizon offert par ces villas. La rédactrice, en balade entre ces 1235 résidences étendues sur près de 2,7 kilomètres carrés, peint des images qui oscillent entre décors à la Wisteria Lane et bonnes manières aussi effrayantes que celles du Truman Show.

L'entrée du complexe. (D.R.)

L’entrée très sécurisée de Dainfern. (D.R.)

Une protection de dix mètres et quatorze kilomètres

D’ailleurs, à la manière de Jim Carrey, les habitants ne semblent pas vouloir prendre conscience de la réalité qui les entoure. La journaliste tombe nez à nez dans le hall du Club House, avec des mères au foyer, parées de leurs polos de marque, qui sirotent champagne rosé et eau gazeuse. Terrifiant lorsque l’on sait qu’à Johannesburg, la ville la plus proche, les bidonvilles accueillent à bras ouverts prostitution, drogues et violences. Mais qu’importe, ici, à Dainfern, il y a un supermarché, des centres de loisirs et d’activités, une école primaire, et surtout « l’ultra sécurité » comme le précise une des habitantes que Sophie a rencontrée, venue s’installer ici à cause du compte en banque trop fourni de son mari, qu’il fallait mettre « en sécurité« .  » Je n’ai pas besoin de sortir de Dainfern, j’ai tout ce dont j’ai besoin ici: manucure, pédicure, mes deux coiffeurs… On ne s’ennuie jamais !  » confie-t-elle à la jeune femme. Une autre résidente précise qu’il est « très français de penser qu’on ne peut pas vivre parqué. » Parqué? En effet, après avoir sillonné les « rues parfaites », comme Sophie s’amuse à le rappeler, aux pancartes parfaites, les villas Toscanes parfaites succédant aux parfaites villas typiquement sud-africaines, tout s’arrête sur un nez à nez (parfait) avec un mur de béton de 14 kilomètres et cinq mètres de haut, surmonté de fils de fer, surveillé par 75 gardes, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Le mur tendu de cinq mètres vers le ciel, descend aussi cinq mètres sous la  terre. Son frère jumeau, qu’un « no man’s land » sépare de lui, sert de point de vue pour surveiller les environs sur plus de 750 mètres. Il n’y a que deux entrées, sécurisées par les gardes, avec, à chaque fois, des contrôles et des fouilles assez importantes, que la journaliste a dû subir avant de rentrer dans ce paradis de sécurité. On imagine que c’est ainsi que se sécurisent « les riches », au milieu du chaos qu’entraîne le déclin de Johannesburg.

Une maison type de Dainfern. (D.R)

Une maison type de Dainfern. (D.R)

Les résidents sont d’ailleurs tous répertoriés dans le système informatique de la sécurité. La rédactrice explique que les équipes de sécurité connaissent «chiens, enfants, domestiques et locataires», et tout cela grâce aux caméras qui scrutent chaque recoin de la cité idéale que constitue Dainfern. Un des employés le lui précise : « Si tu as de l’argent dans ce pays, mieux vaut vivre enfermé ». Sophie Bouillon ne fait pas réagir les gens de l’autre côté de ce mur. Pourtant on se demande pourquoi personne ne semble se rebeller contre ces « enclosed neighborhoods », déclarés comme illégaux en Afrique du sud, afin de faire valoir l’interdiction d’une réglementation de l’espace urbain. Étonnant lorsqu’on songe au fait que cet univers recréé et cloisonné à certaines couches sociales rappelle cruellement cette loi du « pass », symbolique de l’apartheid. Elle interdisait l’accès de quartiers aux populations métisses et noires. Peut qu’à Dainfern, on a remplacé la ségrégation raciale par une ségrégation financière …

Au delà de l'horizon, les townships. (D.R.)

Au delà de l’horizon, les townships. (D.R.)

De l’autre côté, au milieu de la province de Gauteng, il y a Johannesburg, à laquelle la police prête près de 64 000 cambriolages et 3 000 meurtres par an. Même si les agressions relèvent souvent de règlements de comptes entre ghettos et que Johannesburg n’est plus considérée comme l’une des trois villes les plus dangereuses du monde aujourd’hui, les familles les plus aisées restent effrayées. Les plus aisés migrent à Dainfern.

Nelson Mandela approuve ce « lieu d’excellence »

En 1995, Nelson Mandela dédicace à Dainfern son autobiographie. Un long chemin vers la liberté. Il explique que c’est « un idéal qu’il espère voir se réaliser ». Depuis, comme la reporter a pu le constater, une des phrases de son plaidoyer lors du procès de Rivonia est inscrite sur une plaque dans le hall du Club House. Elle indique « défendre l’idéal d’une société libre et démocratique, dans laquelle les individus vivraient ensemble et en harmonie ». Sophie Bouillon croise Puleng, une des habitantes, que son riche financier de mari a fait sortir d’un des townships les plus pauvres de Johannesburg. Cette dernière confirme : « En 2013, si tu es pauvre tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. Moi je suis un pur produit de l’apartheid : je n’avais rien, et maintenant je vis à Dainfern ! »

Sophie Bouillon raconte son expérience à Dainfern sur France Inter. Elle questionne l’avenir de l’Afrique du Sud, les espoirs déchus après les promesses de Mandela, les gens qui vivent cachés, le mépris envers les pauvres…

Sa publication dans la revue XXI dresse des portraits saisissants.

Léa Reguillot