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Pas facile de réinventer le journalisme
C’est dans une salle bondée que le débat d’ouverture des Assises du journalisme de Metz s’est déroulé mardi 5 novembre au soir. Le thème « Réinventons le journalisme ! » a été abordé par quatre intervenants de prestige : Edwy Plenel, créateur de Mediapart, Patrick de Saint-Exupéry, co-fondateur de la Revue XXI, Denis Robert, journaliste au cœur de l’affaire Clearstream, actuellement en train de fonder un quotidien en ligne Info du jour, et Sylvie Kauffmann, directrice éditoriale duMonde. Sous le regard admiratif et plutôt optimiste du public, ils ont chacun dressé un bilan de la situation de crise du journalisme et discuté des éventuelles pistes pour des jours meilleurs.
Le constat n’est pas enchanteur. « Les modes de production et de diffusion sont troublés. Nous ne sommes plus les seuls à relayer l’information, il y a un nouveau partenariat avec ce qu’on appelle le « journalisme citoyen ». Et la diffusion en temps réel peut poser des problèmes.[…] Il y a une course à l’audience, aux clics, à la masse. » (Edwy Plenel)« Nous n’avons pas besoin de réinventer, tout est à ! Il faut refonder. […] Le modèle gratuit, il se paye. Dernièrement deux journalistes ont encore payé le prix du sang pour exercer ce métier. Gratuité, prix du sang, il y a un paradoxe. »(Patrick de Saint-Exupéry) « Quand on a lancé un appel pour Info du jour, on a reçu 342 CV en vingt-quatre heures. C’est bien, mais d’un côté c’est très triste, ça en dit long sur l’état de cette profession. Il y avait dans ces CV des jeunes journalistes sortis d’école, des jeunes retraités et des journalistes installés, surtout en PQR. Il y a un malaise dans cette profession.» (Denis Robert)
Alors, que faire ? Après ce débat, on n’est pas beaucoup plus avancé car il a essentiellement gravité autour du modèle économique. Abonnements, micro-paiement, pub, pas pub, gratuit, internet, papier, etc. Pas de déontologie, pas de réseaux sociaux, pas de journalisme citoyen justement. Alors même qu’Edwy Plenel affirme mordicus que le journalisme, « c’est le pluralisme ! », le débat est resté enfermé dans les modèles des intervenants, dans leurs préoccupations singulières. Il a été question de l’information générale et politique, essentiellement quotidienne. Pas de presse magazine, des hebdomadaires à peine mentionnés, pas de télévision, pas de radio. Les invités n’auront pas parlé des nouveaux outils dont dispose le journaliste (bases de données, internet, réseaux sociaux, supports mobiles, dématérialisation des frontières, social TV…) alors même qu’on en parle aux Assises. Un débat avec des œillères alors que le journalisme s’étend et prend de nombreuses formes.
Denis Robert s’attriste : « Le journalisme ne trouve pas de modèle. » Le tort du débat a peut-être été de parler « du » journalisme. « Le » journalisme. Unique. Est-ce bien raisonnable de parler du journalisme au singulier à notre époque ? Sylvie Kauffmann ne se pose pas cette question avec l’exemple du Mondequi conserve son édition papier traditionnelle mais« ne peut plus vivre sans son prolongement électronique. » Edwy Plenel plaide pour une « [défense du] meilleur de la tradition » tout en étant à la tête d’un pure-player. C’est dans ce métissage, ce compromis entre « vieux journalisme » et les nouvelles manières de le présenter qu’il faudrait certainement creuser.
Edwy Plenel dévoile une piste : « Ce métier est un métier collectif. » Cette déclaration fait écho au grand débat de mardi après-midi sur le journalisme d’enquête auquel Fabrice Arfi, journaliste àMediapart, a participé. Il y a affirmé qu’il fallait « un journalisme sans frontières » et une plus forte solidarité entre les différentes rédactions pour« replacer l’information avant le journaliste ». Le public en tout cas était bien présent, applaudissant à chaque intervention, venant confirmer ce que Sylvie Kauffmann disait : « Le public est là, il est au rendez-vous ! » On peut peut-être y voir un bon présage.
Lucie Hovhannessian