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Cory Haik : numérique et globalisation, l’avenir du journalisme
La journaliste du Washington Post Cory Haik était aux Assises pour présenter le « Truth Teller ». En tant que productrice et rédactrice en chef du pôle numérique du Post, elle a développé cet appareil de fact checking en temps réel en un peu plus de deux ans. Cette fan de web, de réseaux sociaux et de révolution numérique est optimiste sur l’avenir de la presse et a des propositions pour réinventer le journalisme.
Lucie Hovhannessian : Quel est votre parcours ?
Cory Haik : Je suis actuellement productrice et rédactrice en chef des informations numériques au Washington Post. Ça fait treize ans que je suis dans le journalisme numérique. J’ai travaillé pour The Times – Picayune, à la Nouvelle-Orléans, puis au Seattle Times, à Seattle. Je travaille au Washington Post depuis trois ans maintenant. Côté formation, j’ai un diplôme en journalisme de la Nicholis State University, à la Nouvelle-Orléans, et une maîtrise en théories de la communications de l’Université de la Nouvelle-Orléans.
L.H. : En France la presse écrite est en crise actuellement. Hier dans un débat il a été dit que la situation n’était pas meilleure aux Etats-Unis. Que pouvez-vous me dire sur l’état de la presse écrite et le journalisme américain en général ?
C.H. : Je pense qu’en fait le journalisme va beaucoup mieux maintenant qu’il y a deux ans par exemple. Par exemple Jeff Bezos (fondateur d’Amazon, NDLR) vient de racheter le Washington Post. Le fondateur d’eBay est en train de créer un média avec Glenn Greenwald, le journaliste qui a travaillé sur toute l’histoire Snowden et a divulgué la plupart des informations avec le Guardian. Il y a de plus en plus d’activité journalistique, elle est parfois indépendante, parfois en partenariat avec les éditeurs traditionnels.
La technologie est de moins en moins compliquée à utiliser pour les gens « normaux » et de plus en plus puissante. La situation du journalisme d’investigation est excellente. Les gens partagent de plus en plus d’informations pour qu’elles soient creusées et exploitées. Il y a des choses qui sont possibles avec les technologies qui ne l’étaient pas avant.
En ce qui concerne l’économie, je pense aussi que nous allons mieux parce qu’on voit des gens qui reviennent au journalisme comme Jeff Bezos. Ces personnes vont aider à poursuivre la transition numérique pour que les journalistes continuent de faire leur travail.
L.H. : Qu’en est-il des ventes de journaux ? Par exemple le Washington Post version papier se vend-il toujours ?
C.H. : On continue à avoir une grande distribution. Évidemment les ventes baissent et vont probablement continuer de baisser. Mais notre attrait numérique s’élargit, très très vite. Plus de 45% de nos lecteurs les week-ends consultent le journal sur mobile, c’est très prometteur. Ça augmente sans cesse. Je pense qu’atteindre plus de gens par le numérique en créant un réseau très large est une opportunité très excitante, comparée à celle de n’être qu’un journal local.
L.H. : Le thème de ces Assises est « Réinventons le journalisme « . Vous pensez que c’est le numérique qui va permettre cela ?
C.H. : Je pense que la capacité d’avoir une portée mondiale et de se connecter aux lecteurs grâce aux plateformes qu’ils utilisent tout le temps, c’est à dire leurs téléphones, les tablettes,… c’est très enthousiasmant. Et c’est pour ça que je pense que les journalistes et particulièrement ceux du numérique doivent concentrer leur travail autour de la construction d’expériences adaptées à ces plateformes. Il faut alors faire un journalisme spécial, juste pour ces supports. C’est un concept que j’appelle « journalisme adaptateur » (adaptive journalism), il s’agit vraiment de penser au support d’abord et adapter le contenu ensuite.
L.H. : Hier dans un débat avec Gérard Ryle, il a été question du fait que les journalistes doivent collaborer à une échelle mondiale. Vous avez aussi abordé ce point brièvement à propos du fact-checking et des bases de données pendant le débat cet après-midi. Est-ce vraiment possible, et est-ce que c’est aussi une solution ?
C.H. : Oui, je pense que c’est possible, d’ailleurs c’est déjà en train de se produire, comme on l’a vu avec l’Offshore Leaks et le Consortium International des Journalistes d’Investigation. Ces partenariats sont sûrement compliqués mais on doit aller jusqu’au bout et les concrétiser, parce que ça rendrait le journalisme plus fort. On voit tout de manière globale, associer des médias de tous les continents permettrait une offre de journalisme plus grande pour le public mondial. Donc oui. Et oui. Si on a cette conversation dans deux ans, on sera capables de le démontrer.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Lucie Hovhannessian
L’entretien en VO ci-dessous :