Le financement de l’information, casse-tête made in France

Actuellement, il existe principalement trois sources de revenu pour un organe de presse. Le financement par les lecteurs (à l’acte ou à l’abonnement), la publicité (avec un développement difficile sur le web) et la redevance, qui finance les médias publics comme France Télévisions. Le journalisme de demain, tourné vers le numérique, pourra t-il s’accorder sur un modèle économique viable et rentable ? Journalistes et historiens des médias en ont discuté lors d’un atelier de travail.

Réinventer un mode de financement viable passe aussi par des concertations entre professionnels. (Crédit S.H.)

Réinventer un mode de financement viable passe aussi par des concertations entre professionnels. (Crédit S.H.)

« Un journaliste coûte à son journal entre 50 000 et 100 000 euros par an. L’information n’est pas rentable » constate Patrick Eveno, historien des médias. Le problème de la rentabilité de l’information ne s’est jamais autant posé que depuis le début des années 2000, et la crise de la presse papier. Chute du nombre de lecteurs, frilosité des annonceurs, crise économique mondiale et hausses considérables des coût de production de l’information, peu sont les organes de presse qui échappent à la rigueur. « On a vécu 150 ans sur le modèle Girardin mais il est en train de mourir », poursuit l’universitaire. C’est donc autant la façon de proposer l’information qu’un écosystème qu’il faut repenser. « On sort d’une crise sociale assez grave avec le passage du papier au web. Nos patrons qui ont investi dans le web ont vu là une opportunité de croissance. Ça c’est un fantasme, on l’a compris depuis des années. Aujourd’hui L’Express est évidemment un hebdomadaire avec un site internet et on essaye de trouver un équilibre de financement. Pour le moment le web n’est pas un secteur porteur », lâche Eric Mettout, directeur de la rédaction de L’Express. « Il y a en France une vraie responsabilité des grands patrons des industries médiatiques dans le retard de la presse sur le numérique. Ce sont les grands groupes qui n’ont pas investi dans des labos de recherche », pointe le journaliste.Le Guardian, en Angleterre, ou encore Der Spiegel, en Allemagne, l’ont fait au milieu des années 1990. Ils jouissent actuellement d’une situation financière bien confortable.

« Avoir du contenu exclusif »

Un autre problème se pose à l’heure actuelle. L’information factuelle est partout, sur le net, dans les applications mobiles gratuites et même sur les réseaux sociaux. C’est une difficulté de taille, quand on sait que l’information a un coût pour les organes de presse, et donc un prix. « Qu’est-ce qu’on va pouvoir apporter comme plus-value pour que le public soir prêt à payer ? » interroge Patrick Eveno. « A condition d’avoir un contenu exclusif, on a un axe pour vendre » répond Michel Danthe, rédacteur en chef adjoint du quotidien suisse Le Temps. La recherche d’un financement de l’information est le problème des rédactions parisiennes mais également celui des rédactions locales. « Le lecteur change, mais je crois que nous sommes plus dans une révolution culturelle qu’une révolution économique. On ne s’est pas arrêté sur un seul modèle parmi ceux des 250 hebdomadaires régionaux, on cherche, on tâtonne. La mutualisation de services comme les petites-annonces ou la synthèse de thématiques locales peuvent être une source de revenus », propose Bruno Hocquart de Turtot, directeur général du Syndicat de la Presse Hebdomadaire. « Pour se créer des opportunités, poursuit-il, il faut accepter de se planter. Il faut que les éditeurs de presse fassent preuve d’audace. Encore faut-il que les éditeurs puissent avoir des ressources ».

« On n’a pas cette culture libérale »

Pour le journaliste Edwy Plenel, « le déficit est là et c’est à nous de recréer un écosystème qui va permettre la rentabilité. Il faut être transparents. Oui, les comptes doivent être publics. On doit savoir ce qui rentre dans les caisses des médias car notre métier c’est d’être au rendez-vous de l’information. Ensuite, qui dit presse dit égalité des supports. Il est de notre droit d’avoir la même TVA ». Le cofondateur de Mediapart fait allusion au fait que la presse papier bénéficie d’un taux de TVA super-réduit à 2,1%, alors que la presse en ligne doit s’affranchir d’un taux à 19,6%. Cela pourrait évoluer sous peu, après la remise à Aurélie Filipetti, la Ministre de la culture et de la communication, d’un rapport de la Cour des comptes. « Je défends également les aides indirectes car nous cherchons la structure d’une presse indépendante. On a ce problème dans ce pays qui n’a pas cette culture libérale », regrette Edwy Plenel. Aux Etats-Unis, certains médias ont refusé le financement d’entreprises, de fonds publics et de publicité pour garder leur indépendance. Le modèle de la fondation pourrait être une porte de sortie afin de financer les organes de presse. Cela nécessiterait alors l’obtention de dons. « Le don, on sait bien que c’est le contre-don en échange », soupire Patrick Eveno. Certains grands médias nationaux se tournent vers une stratégie de marque. Ils associent le titre du journal à la vente de services, comme Le Figaro, ou de produits culinaires comme Libération. Une question se pose alors : jusqu’où ira la presse pour arriver à tirer des bénéfices ? Pour l’heure actuelle, il est bien difficile de le dire.

Simon Hue