C’est l’histoire d’un journal irrévérencieux et satirique…

Il est 10 heures à Marseille au dernier étage du 11 Boulevard National. Quand Michel Gairaud, rédacteur en chef, présente les locaux du Ravi, l’invité comprend rapidement dans quel univers il met les pieds…

Le Ravi

La Une d’une parution « pas pareille »… (Crédit photo : Nicolas Richen)

Il entre dans une modeste cuisine qui fait aussi office de salle à manger où son équipe a l’habitude de reprendre des forces : « Voici la partie commune que nous partageons avec une association.» L’atmosphère est feutrée et familiale. Linda Ecalle, responsable du développement, et le rédacteur Sébastien Boistel, font aussi vivre ces lieux aussi atypiques que modestes. La petite salle de rédaction est du même acabit: un éclairage approximatif, l’un ou l’autre bureau, quelques ordinateurs et des piles de journaux entassés un peu partout. Une caricature de François Hollande et d’Eva Joly est accrochée sur un mur.

L’équipe vient de boucler le numéro 112, l’occasion pour elle de reprendre un peu son souffle. « Mais le répit sera de courte durée », assure Michel Gairaud. Non sans difficultés, ce mensuel vient d’atteindre le cap des dix ans d’existence. Comment arrive-t-il à survivre au sein d’un paysage médiatique où les grands groupes de presse sont légion ? En quoi est-il singulier ? Portrait d’un journal qui souhaite aller à contre-courant des médias traditionnels.

Une histoire atypique, une identité construite sur la liberté de ton

Revenons dix ans arrière. Frustrés et insatisfaits de l’offre de la presse en région PACA, une poignée de citoyens décide de créer un journal. « Les gens qui ont lancé le canard n’étaient pas des journalistes. La plupart d’entre eux sortaient de la FAC avec des compétences en sociologie, en urbanisme et en environnement. Ils s’intéressaient aux questions de démocratie locale et travaillaient à l’échelle de la région », explique l’actuel rédacteur en chef qui a participé à l’aventure à partir du sixième numéro. Leur envie était « de proposer une presse différente et régionale. En creux, il y avait une critique assez forte de la PQR (Presse Quotidienne Régionale) », se souvient Michel Gairaud. Les initiateurs du Ravi avaient le sentiment d’avoir quelque chose à dire sans pouvoir le faire dans les journaux traditionnels.

Après avoir fait une tournée de la région PACA, ils ont eu la confirmation que la presse alternative était quasi inexistante. Une équipe de rédaction s’est formée avec une idée en tête : faire un journal régional, traiter de l’actualité locale sans parler du clocher et de l’opposition ville contre ville. À l’origine, les créateurs du projet espéraient publier des articles de confrères qui n‘avaient pas la liberté de le faire dans leur propre journal. Cela ne s’est produit que rarement. Pour son rédacteur en chef, le Ravi « avance sur deux jambes : l’enquête et la satire. Nous avons envie de renouer avec les fondamentaux de la profession ». Le titre du mensuel illustre l’état d’esprit de l’équipe de rédaction, insoumise et qui ne baisse pas les bras. Car Lou Ravi est un des santons de la crèche, il s’émerveille devant le miracle de la nativité, comme le traduit ses bras levés au ciel.

Après de modestes débuts, le Ravi a fait son bonhomme de chemin malgré plusieurs périodes délicates d’un point de vue financier. Plusieurs journalistes et dessinateurs ont intégré l’équipe. Le dessin de presse —le journal ne publie presque aucune photographie — est pour Michel Gairaud « une preuve de notre goût pour l’irrévérence, car on met les pieds dans le plat. Cela amène une dimension que peu de supports médiatiques choisissent ». Le journal a acquis une certaine crédibilité, même si son ton piquant et sa liberté dérangent parfois. Car il vrai que l’équipe du Ravi est très critique par rapport aux médias grandes entreprises de presse et dresse un portrait peu enviable de la santé de la presse régionale et nationale. Un portrait qui va bien au-delà des problèmes économiques. Quand le sujet est abordé, les deux rédacteurs du mensuel rient jaune. « La situation est absolument dramatique, ce qui fait que notre discours vis-à-vis de nos principaux confrères nous amène à faire preuve de militantisme. On pense que même si l’information n’est pas rentable, c’est une mission de service public qui doit être faite», estime Sébastien Boistel. Son rédacteur en chef ajoute que « la bonne santé ou la mauvaise santé de la presse est un indicateur de la santé du débat démocratique et de la vie en commun ».

Quel financement ?

Le mode de financement du Ravi est singulier par rapport aux grands groupes de presse : le journal est édité par la Tchatche, une association participative. Il ouvre rarement ses colonnes à la publicité et la sélectionne de façon très ciblée pour garder une totale liberté sur le plan rédactionnel. « Au Ravi, on pense qu’il est difficile d’exercer le métier de journaliste de manière complètement libre. C’est pour cela que nous avons notre propre organe de presse », explique Sébastien Boistel. Indépendant du pouvoir financier et politique, le journal est en revanche dépendant de ses lecteurs et de ses abonnés.

« La presse indépendante ou « pas pareille » ne bénéficie d’aucun statut, d’aucune aide; les pouvoirs publics s’en fichent. Quand on les a sollicités, on n’a même pas eu un retour.» Sébastien Boistel met en évidence un paradoxe : il croit que d’une certaine manière, les aides à la presse font l’inverse de ce qu’était initialement leur mission. « En 1945, elles avaient été mises en place pour libérer la presse des puissances d’argent. Au fil des décennies, avec la concentration de la presse et le réinvestissement de grands groupes papivores du type d’Hersant, les aides vont principalement à ceux qui n’en n’ont pas besoin et qui sont dans des logiques de renforcement de groupes, où la presse n’est qu’un habillage pour vendre de la publicité. »

Savoir bien s’informer s’apprend

Chaque année, un sondage proposé par le journal quotidien La Croix montre qu’une bonne partie des Français est très critique par rapport aux médias dominants : « C’est le paradoxe des sondages car d’un autre côté, les Français font surtout confiance à TF1 », relativise Michel Gairaud.

Sébastien Boistel estime que « la gratuité de la presse est imprégnée dans l’esprit des gens». «La presse gratuite est un leurre. On trouve normal de payer son demi ou sa baguette de pain, mais on se fait violence pour sortir un chéquier et souscrire à un abonnement. C’est quelque chose qui n’est pas naturel », renchérit son collègue, en expliquant que c’est une vraie bataille pour faire passer le message qu’il faut payer pour lire un journal de qualité.

L’équipe du Ravi pense que savoir bien s’informer s’apprend. C’est pourquoi elle organise des conférences, des débats et des ateliers de sensibilisation à la presse dans les écoles. Son objectif est d’amener les jeunes à déconstruire l’information qu’il consomme quotidiennement. « Ce sont des journalistes travaillant dans les médias plus dominants qui forment les étudiants dans les écoles de journalisme. Durant mon année de formation à Marseille, je n’ai pas eu de journalistes venant de canards satiriques ou ayant des pratiques professionnelles différentes. On forme les journalistes pour qu’ils soient prêts tout de suite sur le marché et qu’ils servent une information comme on leur demande de la faire », regrette Sébastien Boistel.

Le rédacteur en chef du mensuel constate que les gens se tournent de plus en plus vers des sources d’information alternative. « Notre audience le prouve, même si nos ventes stagnent. Le paradoxe de notre journal, c’est que depuis sa première heure, il survit, s’imbrique avec des bouts de ficelle, mais existe depuis dix ans. Et malgré ses difficultés actuelles, il a la ferme intention d’exister pour les dix prochaines années. On fait des projets à long terme, mais on sait jamais ce qu’il va nous arriver dans six mois. » Il remarque que des journaux «beaucoup plus marquetés et financés » sont apparus en même temps que le Ravi, avant de disparaître très rapidement. « On est petit au milieu d’une tempête qui est forte, mais nos médias différents ne sont finalement pas si mal outillés, bien qu’ils répondent à des attentes qui sont difficiles à mettre en musique ».

M. Gairaud est à l’œuvre dans la salle de rédaction du Ravi. (Crédit photo : Nicolas Richen)

M. Gairaud est à l’œuvre dans la salle de rédaction du Ravi. (Crédit photo : Nicolas Richen)

Ce journal « sérieux qui ne se prend pas au sérieux » est en réanimation régulière. Son aventure est parsemée d’incertitudes, mais la foi demeure pour Michel Gairaud et ses collègues. «L’avenir de la presse, on y croit. Notre presse d’investigation et notre choix du papier sont liés à une forme de lenteur, à une volonté de faire du travail de fond. » Au départ, le fait de proposer un journal mensuel était un choix réaliste. Aujourd’hui, l’équipe de rédaction trouve que ce qui était jadis une contrainte est devenu un atout.

Fin 2013, le Ravi a expliqué que les causes de ses difficultés financières sont multiples : « une banque plus pointilleuse sur les découverts, un système de diffusion de la presse qui implose, des institutions pas toujours pressées de défendre le pluralisme, des aides à l’emploi non renouvelées et un élu qui nous attaque en diffamation. » Mais à Noël, le journal a annoncé que la levée de fond participative a aidé à rassembler les 30 000 euros nécessaires à la survie du titre. Le « journal libre qui ne s’achète pas, mais qui se finance » devra atteindre la barre des 1 000 abonnés dans les prochains mois. La balle est dans le camp des lecteurs de la « presse pas pareille ». Alors, qui lève les bras pour le Ravi ?

Nicolas Richen

Le Ravi en bref:

Mot d’ordre : satire et enquête en PACA

Création : 2003

Périodicité : mensuel

Prix à l’unité : 3,40 €

Nombre de numéros : 114

Édité par : la Tchatche, association

coopérative et participative

Tirage : 5 000 exemplaires

Abonnés : environ 800

Site Web : http://www.leravi.org