
Étiquettes
Mourir ou ne pas mourir? Telle est la question
Théâtre national de Nice, salle Pierre Brasseur, 26 janvier. Un quart d’heure avant le spectacle, la foule se presse et s’assoit confortablement dans les sièges rouges du théâtre à l’italienne. Il est déjà 15h et la dernière représentation du Roi se meurt de Ionesco, mise en scène par Georges Werler, va se jouer devant leurs yeux. Tous se réjouissent de voir sur scène Michel Bouquet et sa femme, à la vie comme à la scène, Juliette Carré. Silence dans la salle, lever de rideau.

La foule de spectacteurs s’installe dans la salle Pierre Brasseur du TNN (Crédit photo : Camille Degano)
Un royaume de l’absurde bien incarné
Le roi Bérenger Ier (joué par Michel Bouquet) entre sur scène avec ses deux épouses, la reine Marguerite (jouée par Juliette Carré) et la reine Marie (jouée par Lisa Martino). Michel Bouquet porte un costume rouge ainsi qu’une couronne assez étrange sur la tête. Le personnage qu’il incarne va mourir à la fin de la pièce. Tous les personnages le savent et l’acceptent. Ils conseillent même au roi de se préparer à sa fin. Sauf la reine Marie. Cette dernière est belle, très amoureuse, frivole dans sa longue robe blanche et également puérile, notamment dans sa façon de pleurer ou d’insister pour que le roi n’écoute pas les autres personnages. A l’opposé, il y a la reine Marguerite, plus âgée et acariâtre. Juliette Carré joue très bien ce personnage : tout dans sa gestuelle, dans sa façon de parler et d’enchaîner les phrases jusqu’à ne plus avoir de souffle, traduit ses pensées hargneuses. Elle est en parfait contraste avec sa rivale de reine : elle porte un costume plus sombre, noir et violet.

Nathalie Bigorre se vêt de son costume de servante (à gauche) alors que Lisa Martino est déjà prête, habillée de sa robe de reine Marie. (Crédit photo : Camille Degano)
Pierre Forest dans le rôle du médecin, bactériologue, bourreau et astrologue (sa montre et son objectif d’astrologue en main) est tout aussi sombre et objectif que la reine Marguerite. Tous les deux savent que le roi Bérenger Ier va mourir, et ils ne peuvent s’empêcher de compter le temps qui lui reste à vivre. Ce qui évidemment accentue l’angoisse de la reine Marie.
Le garde (avec son épée et ses lunettes d’aviateur) et la servante (également femme de ménage, en costume traditionnel, bleu) sont interprétés par Sébastien Rognoni et Nathalie Bigorre. Ils ont des rôles plutôt comiques, pour détendre un peu l’atmosphère si tendue dans laquelle se trouvent les personnages. Des répliques du garde aussi absurdes qu’invraisemblables, se contentant de répéter les quelques affirmations des deux reines. Et la servante et femme de ménage qui n’hésite pas à enfoncer le clou pour dire que le roi va mourir. Ou quand ces deux personnages courent, l’un avec son épée, l’autre avec son balai alors que l’heure fatidique approche. Une drôlerie caustique, comme Ionesco sait bien le faire.
Une scène dégénérescente
C’est une scène pauvre en décor, si ce n’est un ou deux murs. Un fauteuil pour la reine Marguerite sur la droite, et bien sûr, le trône à moitié détruit du roi qui essaye de se convaincre qu’il ne meurt pas (du moins au début). Mais le décor est là pour le prouver. Il n’a plus aucun pouvoir, il n’arrive même plus à tenir son sceptre dans sa main. Le décor se vide peu à peu, les personnages partent un par un pour laisser le roi seul sur scène, agonisant à la fin de la pièce. Il a beau ordonner aux arbres de pousser du plancher, à la foudre de gronder, rien n’y fait. Il sait au fond de lui qu’il va mourir. Son royaume décline autant que sa vie.

La scène de la salle Pierre Brasseur. Minimaliste en décor, avec le fauteuil à moitié détruit du roi Bérenger Ier, incarné par Michel Bouquet. (Crédit Photo : Camille Degano)
Une réflexion sur la mort … et la vie
Dénégation. Révolte. Résignation. Voilà les étapes par lesquelles le roi Bérenger Ier est passé. Voilà trois étapes effectuées au cours de sa vie, avant de comprendre que son issue est inéluctable. Que l’on soit roi ou non, on est destiné à mourir. Voilà une belle leçon de savoir-vivre que partagent Ionesco et les comédiens. Comme annoncé au début, le roi qui se meurt mourra. Et le grand comédien qu’est Michel Bouquet nous l’a bien montré. Juste dans son interprétation, dans le ton de ses paroles, dans le débit et la gestuelle, il nous fait bien comprendre à travers son personnage, qu’il faut accepter la mort. D’ailleurs, Ionesco trouvait absurde le refus de la mort, et non pas la mort elle-même. Le titre lui-même est d’ailleurs une métaphore. Chacun est roi de sa vie, et il faut savoir à un moment ou à un autre rendre son sceptre.
Ionesco voulait qu’on perçoive un autre réel, qu’on soit capable de donner du sens à notre existence en acceptant cette issue inéluctable. La force et le génie de Ionesco résident dans cette formulation de la vérité. C’est peut-être après cette heure et vingts minutes de théâtre que chaque spectateur pourra envisager sa mort (et donc sa vie) d’un autre œil …
Camille Degano