Rencontre avec Pierre Forest

 A l’occasion de la dernière représentation du Roi se meurt, le 26 janvier au Théâtre National de Nice (TNN), la rédaction de Buzzles a rencontré Pierre Forest, qui incarne le médecin dans la célèbre pièce de Ionesco. Il partage l’affiche avec Michel Bouquet (Le roi Bérenger Ier), Juliette Carré (La Reine Marguerite), Lisa Martino (La Reine Marie), Nathalie Bigorre (Juliette, la femme de ménage et servante) et Sébastien Rognoni (le garde). Interview.

Pierre Forest, en costume de médecin, dans sa loge, avant la dernière représentation du Roi se meurt au TNN (Crédit photo : Camille Degano)

Pierre Forest, en costume de médecin, dans sa loge, avant la dernière représentation du Roi se meurt au TNN (Crédit photo : Camille Degano)

Vous avez étudié au Conservatoire National Supérieur d’art dramatique de 1975 à 1978 pour devenir comédien. Vous avez toujours eu cette passion pour le théâtre ?

Pierre Forest : D’abord j’aimais beaucoup la musique. J’ai développé ma voix par la musique depuis l’âge de sept ans. Le Conservatoire, c’est une étape importante. Mais ce qui m’a beaucoup plu, c’est le rapport aux auteurs que j’ai découvert vers l’âge de 18-19 ans. Je me suis dit que c’était intéressant de voir du côté des auteurs, des œuvres littéraires. J’ai trouvé que c’était une porte ouverte sur le monde et qui avait la particularité d’utiliser des dialogues, ce qui manque beaucoup dans notre société. L’art du dialogue m’a beaucoup plu.

Qu’est-ce qui vous plaît tant dans le fait d’être sur scène ?

P.F : C’est essentiellement le rapport à l’auteur. Les auteurs ont des capacités extraordinaires. Le théâtre est une particularité. L’auteur fait un chemin, et le comédien doit faire l’autre partie du voyage.

D’ailleurs, vous avez rencontré quelques auteurs …

P.F : J’ai effectivement rencontré René De Obaldia qui a maintenant 94 ans. C’était dans les années 1960, une période extraordinaire. Il nous a fait l’amitié de nous écrire d’autres textes dont Les Nouveaux Impromptus que nous avions joué à Paris. C’était une belle rencontre. J’ai aussi rencontré Mohamed Kacimi qui a écrit La confession d’Abraham. C’est un homme d’une belle intelligence qui avait écrit un texte superbe sur l’histoire du patriarche des trois religions. C’était en 2000.  J’ai aussi rencontré des artistes. Quand on est jeune, c’est merveilleux. J’ai eu la chance de croiser Jean Carmet et Jean-Paul Belmondo, des gens délicieux. Mais également des metteurs en scène. Mon professeur, Antoine Vitez, était un grand professeur. Les rencontres, ce sont aussi les comédiens, et je ne peux m’empêcher de parler de Michel Bouquet. Il était professeur au Conservatoire, mais moi je n’y étais plus. La première fois que j’ai rencontré Michel Bouquet, je lui ai dit  »ah je vous ai raté au Conservatoire mais là je vais peut-être pas vous rater.’‘ [rires] Ça fait sept ans qu’on travaille ensemble, on a fait deux spectacles  : Le Malade imaginaire et une autre version du Roi se meurt. [NDLR : en 2010]

En parlant du Roi se meurt, vous jouez le rôle du médecin. Pouvez-vous nous en parler ?

P.F : Oui. Médecin, bourreau, bactériologue, et astrologue ! C’est un homme qui a une montre. C’est très important. C’est un scientifique. C’est quelqu’un qui voit la dégénérescence d’un être, qui est dans l’inéluctable. Il est médecin mais il ne peut plus faire grand chose. En tant qu’astrologue, il met en relation le plus petit et le plus grand tout le temps. Il est observateur de la bactériologie, il voit donc comment les choses avancent. Et puis surtout il est bourreau, il est la fatalité, quoi qu’il arrive. C’est certainement le personnage le plus objectif et le plus sombre de la pièce mais en même temps, on ne peut lui reprocher quoi que ce soit, c’est son travail. Je m’appuie beaucoup sur le personnage de la Reine Marguerite (NDLR : joué par Juliette Carré) qui, elle aussi, demande à ce que la chose avance. C’est un peu difficile à porter mais c’est intéressant. Il y a peu de moments de tendresse dans ce personnage.

Vous dites aimer le rapport à l’auteur. Qu’est-ce qui vous plaît chez Ionesco ?

P.F : C’est un monsieur qui a une plume extraordinaire. Le Roi se meurt est un texte initialement difficile à apprendre. Mais une fois qu’on le possède, c’est un texte qui donne beaucoup de joie parce qu’il est plein de subtilités. Ionesco a une grande manière d’écrire ; les thèmes qu’il a pu aborder que ce soit dans Rhinocéros ou La soif et la faim me plaisent énormément. A chaque fois, c’est la rencontre de l’humanité avec l’univers. C’est une question essentielle qu’il aborde avec beaucoup de brio. Il sait s’ouvrir à d’autres univers, d’autres poétiques. C’est quelqu’un d’éminemment drôle, mais drôle à se couper un bras. C’est une drôlerie cruelle, caustique, sarcastique même parfois. Mais toujours généreuse. Il y a quelque chose de vivant chez cet homme. Je regrette tout simplement de ne pas l’avoir rencontré.

Vous préférez jouer du tragique ou du comique ?

P.F : Je ne sais pas. Je pense que je préfère le bon théâtre qui justement mêle les deux. J’aime la grandeur chez les petits et le petit chez les grands.

Quelles sont vos impressions de ces quelques représentations au TNN, cette semaine ?

P.F : Beaucoup de joie. D’abord parce que le public est mélangé avec des jeunes. Ce qui est extrêmement agréable car les jeunes ont la clé du rire. Et puis jouer Le Roi se meurt devant un public qui va mourir … c’est un peu pénible. Les jeunes sont là pour rigoler, pour s’amuser. Je pense que la pièce répond à leurs angoisses, ou à l’angoisse de leurs parents mais avec beaucoup de grâce car elle dit la vérité. Elle la dit d’une manière caustique. Ça fait rire les jeunes et ça entraîne les vieux. Donc c’était une belle semaine.

Le mot de la fin. Êtes-vous stressé avant d’entrer en scène ?

Je ne suis pas stressé. Je suis juste attentif à ce temps qui passe. [rires]

  

Propos recueillis par Camille Degano