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Sotchi : les Jeux sont faits
Les Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi sont lancés. Du 7 au 23 février, les regards du monde entier seront braqués vers l’ancienne station balnéaire, transformée en quelques années en vitrine étincelante de la Russie de Poutine. Dans l’ombre de ces jeux les plus chers de l’histoire olympique, se dessinent des scandales environnementaux, sociaux et des risques sécuritaires bien réels. Petit rappel des différents aspects des jeux qui prêtent à discussion.
Des Jeux « en harmonie avec la nature »
Les organisateurs avaient promis des jeux propres et sans déchets, « en harmonie avec la nature ». La réalité est toute autre. Les onze sites du complexe sont répartis sur deux ensembles principaux : un sur les rives de la Mer Noire, un autre en montagne, à Krasnaya Poliana. En sept ans, 50 milliards de dollars ont été investis dans la ville et dans la station de Rosa Khutor, où doivent se dérouler les épreuves de ski alpin, de bobsleigh, de ski de fond et de saut à ski. La plupart ont été construits de toutes pièces, à l’image de l’aéroport, de deux gares ferroviaires et de 200 km de voies ferrées, ainsi que 400 km de routes et 77 ponts. Mais aussi 12 tunnels, des stations de ski, trois villages olympiques, cinq patinoires géantes et de nombreux immeubles. Un projet titanesque qui a demandé des sacrifices, lesquels se sont portés sur l’environnement.
Le parc national de Sotchi, créé en 1983, est réputé pour la richesse de sa faune et de sa flore. Il abrite de nombreuses espèces menacées comme le bison européen, le lynx ou le loup. Quand Sotchi a remporté les Jeux d’hiver, le gouvernement russe a immédiatement abrogé la loi sur la protection des espaces naturels qui empêchaient toute construction sur ces sites. Greenpeace et le WWF ont ainsi décidé de quitter le comité d’organisation des Jeux en 2010. Andrey Petrov, de Greenpeace Russie, a déclaré : « Nous avons compris que nous ne pouvions rien faire ».
Pour construire les pistes de sport de glisse, une forêt abritant l’ours brun, espèce protégée, a été rasée. L’animal a depuis disparu de la région.
Le site côtier (qui contient le stade « Fischt » destiné aux cérémonies d’ouverture et de fermeture et les arènes « Adler », « Bolshoï », «Shaïba» et « Ice Cube » consacrées aux sports sur glace) est construit sur d’anciennes terres agricoles inondables, lieu de passage essentiel dans la migration des oiseaux marins. Un parc ornithologique a été construit pour pallier ce bouleversement. Mais les ONG critiquent la taille de ce dernier, 10 % de la surface initiale. Il est de plus situé en zone montagneuse, où ces volatiles ne se rendent jamais.
L’« autoroute du caviar », surnommée ainsi à cause de son coût exorbitant relie l’aéroport Adler au complexe montagneux de Krasnaya Poliana. Elle longe la rivière Mzymta – lieu de reproduction de 20 % des saumons de la mer Noire – sur une grande partie de son trajet et en a chamboulé l’écosystème. Les déchets rejetés dans la rivière et le déplacement artificiel de son lit ont fait disparaître les poissons. Malgré les trois millions de larves réintroduites, il n’y a aujourd’hui plus aucune trace de saumon dans la rivière, selon les observateurs.
Sans oublier les décharges à ciel ouvert. Sotchi génère des millions de tonnes de déchets ménagers, de matériaux de construction, de produits chimiques. Aucune stratégie de traitement des déchets n’a été mise en place. Les ordures sont donc stockées dans des décharges déjà existantes ou créées pour l’occasion. Les chiens errants, quant à eux, sont considérés comme « déchets biologiques » et font les frais d’une opération de nettoyage radicale.
Face aux critiques de l’ONU et de différentes ONG concernant le désastre écologique sur la région de Sotchi, les autorités russes restent sans réponse. Il y a quelques jours, le président du comité d’organisation des jeux, Dmitri Tchernychenko, déclarait : « Nous sommes fiers d’annoncer que nous avons rempli l’un de nos principaux objectifs : organiser des Jeux ayant un impact minimum sur l’environnement ».
Les controverses politiques
De nombreuses ONG comme Amnesty International , Human Rights Watch, ou Reporters sans frontières, condamnent les violations des droits de l’homme en Russie.

Un militant pour les droits homosexuels à Moscou le 19 janvier 2014. (Crédit photo : AP/ALEXANDER ZEMLIANICHENKO)
Fin juin 2013, Poutine a adopté une loi qui stigmatise les homosexuels et interdit la « propagande » de leur orientation sexuelle. Seulement la Charte olympique interdit « toutes les formes de discrimination ». C’est pourquoi certains athlètes ont interrogé le président du CIO. Mais le Comité international olympique est resté silencieux. La semaine dernière, le maire de Sotchi s’est encore illustré en déclarant qu’ « à [sa] connaissance, il n’y a pas d’homosexuels à Sotchi ».
Le géant de l’internet Google, en cette journée d’ouverture officielle, s’est quant à lui distingué en s’invitant dans les débats avec un graphisme bien à propos…
…appliqué à toutes ses pages de recherches web, le rainbow flag et les sports d’hiver s’y mélangent, une citation de la charte apposée juste au dessous rappelle même les valeurs olympiques.
« La pratique du sport est un droit de l’homme. Chaque individu doit avoir la possibilité de faire du sport sans discrimination d’aucune sorte et dans l’esprit olympique, qui exige la compréhension mutuelle, l’esprit d’amitié, de solidarité et de fair-play. » –Charte olympique
Les ONG dénoncent également la détention de nombreux prisonniers d’opinion. Vladimir Poutine tente par les Jeux olympiques de faire oublier certaines réalités de sa politique : les massacres de civils dans le Caucase du Nord, son autoritarisme, son mépris des libertés individuelles… Le président Poutine a déclaré que les Jeux étaient « le respect de l’égalité et de la diversité ». Pourtant, les migrants qui ont travaillé pour construire et établir les sites olympiques sont maintenant expulsés du pays.
Pour construire tranquillement, Moscou a expulsé sans les reloger plus de 3 000 personnes de leurs foyers, aujourd’hui SDF. Rien n’aura été épargné aux habitants, entre visites de policiers à leurs domiciles, coupures d’électricité intempestives, bruit permanent, embouteillages monstres, glissements de terrain dus à des travaux mal pensés…
La Russie a également interdit les manifestations à Sotchi, une décision immédiatement dénoncée par les militants des droits. Le gouvernement a déclaré que la mesure était nécessaire pour garantir la sécurité pendant les Jeux olympiques et paralympiques. Les militants ont qualifié ce décret d’ « anticonstitutionnel ». Poutine a déjà une réponse : « Nous constatons que certaines personnes tentent de discréditer les futurs Jeux Olympiques et, malheureusement, nous voyons qu’il s’agit particulièrement des États-Unis. »
Mais face aux protestations, le président russe a mis de l’eau dans son vin en promettant de laisser une « zone de protestation » à l’usage des nombreux militants. Il a également libéré en décembre dernier deux membres des Pussy Riot et l’ancien oligarque Mikhaïl Khodorkhovski.
Peut-être espère-t-il par ces actes isolés redorer son image, passablement écornée par sa politique autoritaire et son mépris total des droits de l’homme. Il a par ailleurs déclaré il y a trois semaines : « Les homosexuels peuvent venir détendus. Mais qu’ils laissent les enfants tranquilles ».
L’aspect sécuritaire
Sotchi est une ville située dans une région sous haute tension, adossée à la chaîne montagneuse du Caucase. La chaîne du Caucase est traversée de nombreuses vallées où se sont établis différents peuples. A la chute de l’URSS, la région a été totalement remodelée, et a intégré ces peuples à de nouveaux pays, donnant lieu à des revendications autonomistes et des conflits.
En décembre dernier, deux attentats suicides visent la ville de Volgograd faisant un total de 33 victimes. Ces attentats ont été revendiqués par le groupe islamiste Shariah Jamaat. Sharia Jamaat est l’un des groupes qui forment l’auto-proclamé Émirat du Caucase qui cherche à établir un État islamique indépendant dans le Caucase du Nord. Dans une vidéo publiée sur son propre site, le groupe terroriste promet de perturber les Jeux olympiques : « Si vous tenez ces Olympiques, vous aurez droit à un cadeau pour le sang d’innocents musulmans qui est répandu partout à travers le monde: en Afghanistan, en Somalie, en Syrie » avant d’ajouter que « les touristes auront également un cadeau ».
Face à la menace, Poutine a transformé Sotchi en une véritable forteresse. Environ 100 000 militaires, policiers et agents spéciaux (du FSB, ex-KGB) ont été mobilisés. Soit en moyenne 1 membre des forces de l’ordre pour 3 habitants. Même aux Jeux de Pékin – eux aussi vivement contestés, un tel dispositif n’avait pas été mis en place. A quoi s’ajoutent des drones, des missiles sol-air, 5 000 caméras et des dispositifs de détection aérienne et sous-marine. Deux navires de guerre américains, une frégate et un navire de commandement sont même arrivés en mer Noire, pour seconder les équipes russes.
Les fouilles au corps sont systématiques, mais pas seulement. Appels téléphoniques, connexions internet, tchats via Skype… toutes les communications sont passées au crible par le FSB, les services secrets russes. Le FSB dispose pour cela du système SORM, l’équivalent de Prism américain. « Le FSB a un accès direct aux serveurs des fournisseurs d’accès et peut rechercher n’importe quelle information sans mandat », détaille Johann Bihr, représentant de Reporters sans frontières.
Seulement ce déploiement de forces dans une si petite zone laisse d’autres régions vulnérables aux attaques. A Moscou par exemple, les dispositifs de sécurité ont été renforcés. La capitale sera en effet un lieu de transition important des voyageurs se rendant aux Jeux olympiques.
Poutine aura accumulé tous les excès pour « ses » Jeux. Mais la communauté internationale reste critique envers la Russie. Plusieurs dirigeants n’ont pas assisté à la cérémonie d’ouverture, notamment François Hollande et le président de la République fédérale d’Allemagne, Joachim Gauck. Dans un entretien à la chaîne NBC, Barack Obama a expliqué jeudi qu’il avait nommé des athlètes homosexuels comme membres de la délégation américaine assistant à la cérémonie d’ouverture, pour montrer que les Etats-Unis refusaient de « se plier à la discrimination ».
Ce climat explosif promet des Jeux au climat particulièrement tendu, malheureusement bien loin de l’image dorée que nous propose Moscou. Ce qui expliquerait que tous les billets n’ont pas encore été vendus ?
Mathias Hubert
Raphaëlle Daloz
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