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La fille du roi d’Espagne devant la justice
Samedi 8 février, Cristina de Borbón y Grecia, deuxième fille du roi d’Espagne et septième dans l’ordre de succession, est devenue le premier membre de la famille royale à comparaître devant un juge. Événement extraordinaire pour la ville Palma de Majorque, où s’est déroulé l’interrogatoire, qui a vu arriver 396 journalistes du monde entier, des manifestants républicains et 200 agents de sécurité.

Iñaki et Cristina passaient, avant l’éclatement de l’affaire, pour un couple exemplaire. (Crédit photo : creative commons)
La comparution a duré six heures et le juge Castro, chargé de l’instruction de l’affaire, a posé plus de 400 questions. L’infante a répondu la plupart du temps par « Je ne sais pas », « Je ne me rappelle pas » et « je ne suis pas au courant ». La réponse la plus attendue et qui a fait la une du dimanche de deux grands journaux espagnols, El País et ABC, a été : « J’avais confiance en mon mari ». C’est en effet son époux, Iñaki Urdangarín, ancien joueur professionnel de handball, qui est au cœur de cette affaire de corruption. Il est accusé d’avoir détourné 6,1 millions d’euros d’argent public.
L’affaire Nóos
Au départ, Nóos est une association à but non lucratif, qui a été reprise en 2004 par Urdangarín. Entre 2004 et 2006, Nóos aurait bénéficié de subventions d’institutions publiques pour l’organisation de colloques sur le sport. Les chiffres demandés par cette entreprise pour ses services semblent démesurés et il se pourrait qu’Urdangarín ait utilisé sa position de gendre du roi et membre de la famille royale pour obtenir ces sommes.
Parmi les millions obtenus par la société Nóos, plus d’un million aurait été reversé à la société Aizoon, dont l’infante possède 50% du capital. L’affaire a été révélée dans le cadre d’une opération anticorruption aux Baléares et Urdangarín a été mis en examen en décembre 2010, avec son associé et présumé complice. Celui-ci, durant toute l’instruction, n’a cessé de dévoiler des mails compromettant l’infante.
Une accusée pas comme les autres
Même si la Maison du Roi, et le monarque lui-même dans son message de Noël, n’ont cessé de répéter que la « justice est égale pour tous », plusieurs éléments prouvent que l’infante a reçu un traitement de faveur. Jusqu’au dernier moment, les journalistes ont attendu pour savoir si elle arriverait en voiture jusqu’à la porte du tribunal, ce qu’elle a finalement fait, ou si, comme il est obligatoire pour tous les autres citoyens, elle arriverait à pied et aurait droit à la « promenade de la honte » devant les photographes. Elle a également été dispensée de passer le contrôle de sécurité.
Dans une salle présidée par le portrait de son père, elle a répondu avec beaucoup de calme et de sang-froid au juge, qui essayait de l’amener à se contredire. Elle a souligné qu’elle ne connaissait rien aux affaires de son mari et que son rôle était « seulement de signer ». Ses avocats se sont montrés satisfaits de sa comparution et ils espèrent qu’elle sera vite écartée de l’affaire. Le juge a cependant conclu que « les délits contre le fisc qui sont reprochés à Iñaki Urdangarín auraient difficilement pu être commis s’ils n’avaient pas, pour le moins, été connus et approuvés par son épouse ». Le procureur, qui s’est toujours opposé à sa mise en examen, a essayé de démonter les arguments du juge. Il a notamment demandé à l’infante si elle connaissait les raisons de sa mise en examen. Elle a répondu que non. Ce à quoi il a lui-même répondu : « Moi non plus, je ne le sais pas ».
L’infante avait déjà été mise en examen au printemps 2013, mais chose extraordinaire dans la justice espagnole, c’est le procureur lui-même, représentant du ministère public, qui a fait appel de cette décision. L’Audiencia Provincial de Palma a accepté la demande du procureur et a demandé au juge de chercher d’autres éléments pour poursuivre l’infante. Finalement, quelques mois plus tard, le juge a accusé à nouveau la fille du roi, et ni le procureur ni ses propres avocats (par décision personnelle du roi) n’ont fait appel.
La monarchie profondément affaiblie
La santé du roi, son voyage au Botswana pour chasser l’éléphant, ses histoires amoureuses et, maintenant, le procès de sa fille ont contribué à changer radicalement l’image de la monarchie en Espagne . Il a été prouvé que le roi a pris connaissance des affaires de son gendre, et lui a demandé d’arrêter. De plus en plus d’Espagnols souhaitent que le roi abdique en faveur de son fils, Felipe, et qu’il mette fin à 38 ans de règne. Cependant il a déjà écarté cette possibilité.
Pour soulager la pression médiatique, la Maison du Roi a décidé d’éviter la présence de l’infante dans tous les actes officiels. Une autre possibilité serait que Cristina renonce, de façon symbolique, à ses droits dynastiques. Mais le procès d’un membre de la famille royale va être difficile à faire oublier. Il se pourrait bien que le nombre de mécontents et de manifestants face à la monarchie augmente, comme l’a déjà prouvé le rassemblement qui s’est déroulé devant le tribunal de Palma samedi, où « régnaient » les drapeaux républicains.
Le juge Castro devrait bientôt clore l’instruction. Il reste à savoir si le couple sera jugé et si, dans ce cas, on verra un membre de la famille royale en prison.
Voila un sujet pas facile, car il met en avant un « grand » de ce monde face à la justice.
Et bien sûr on s’aperçoit que, même si le roi d’Espagne dit « la même justice pour tous », il y a quand même une différence de traitement. Et tout bon démocrate s’en insurge, c’est naturel !
Cependant je trouve les espagnols bien durs! Ils reprochent sans doute à juste titre beaucoup à leur roi. Mais ils oublient tout de même l’essentiel. Alors que Franco, dictateur reconnu, en avait fait son héritier politique, ce jeune roi d’alors, le jour de son accession au trône, en 1976, a renoncé à la dictature pour faire de l’Espagne une monarchie constitutionnelle, alors que rien ne l’y obligeait. Et cela, sans tout forcément pardonner, doit quand même appeler à la retenue des propos et rester dans les mémoires.
Le roi est l’héritier politique de Franco. Il a suivi son éducation de près et il faut pas oublier que Juan Carlos a juré les lois fondamentales du régime franquiste. A mon avis c’est pas lui qui a renoncer à la dictature, c’est le contexte de l’époque. Il y avait un consensus pour que la « démocratie » arrive en Espagne à la mort du dictateur. Il n’avait pas le choix. Mais il a fait, à mon avis, le moins de concession possible pour rester un régime franquiste déguiser en démocratie. Car c’est les même hommes qui dirigeait sous Franco, aussi bien politiquement qu’économiquement, qui ont continué a diriger après.
Et c’est maintenant, avec la crise, que les espagnols se retournent vers leur passé pour comprendre et qu’il voit bien que cette démocratie n’en est pas une et que les perdants de 1939 restent les perdants de 2014.
J’accepte votre vision des choses, même si je ne la partage pas. J’ai encore la vision complètement surréaliste d’une républicaine dont le mari avait été tué par le régime, danser (littéralement) autour de sa table, seule, en apprenant la mort de Franco. Et elle me dit l’espoir qu’elle portait au roi pour l’Espagne. Vous dîtes qu’il n’avait pas le choix de renoncer à la dictature. L’Histoire récente montre que les dictateurs ne sont pas hommes à modifier leurs comportements et que seul l’exil ou la mort les contraint à laisser place à plus de démocratie. A mon sens il fallait donc que quelle que soit son éducation politique, il ait une certaine dose d’empathie avec la démocratie pour ainsi changer de cap. Maintenant que les hommes soient les mêmes, au moins au niveau économique, il n’y a rien d’étonnant…