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Jeux Paralympiques : le désamour du public
Après les Jeux Olympiques d’hiver, les JO paralympiques ont, comme de coutume, suivi l’événement. Sans toutefois bénéficier d’un intérêt et d’une couverture médiatique à la hauteur.
Les jeux paralympiques regroupent des athlètes souffrant de différents handicaps : physiques ou visuels (amputés, aveugles, infirmes moteurs, cérébraux ou en fauteuil roulant, ou tout autre handicap physique). À l’origine de cette idée, Sir Ludwig Guttmann, médecin neurologue de l’hôpital de Stoke Mandeville près de Londres. Le docteur a eu pour idée d’organiser dès 1948 dans son établissement, les premiers “Jeux mondiaux des chaises-roulantes et des amputés”. Cet événement était destiné à la réhabilitation par la pratique du sport, des vétérans et victimes de la Seconde Guerre mondiale, devenus paraplégiques. À Rome, en 1960, les premiers Jeux paralympiques ont ensuite lieu.
Une différence de médiatisation abyssale, mais des progrès recensés
Mais alors, quelques semaines après la fin des Jeux olympiques de Sotchi, la polémique éclot, comme tous les deux ans après chaque olympiade. Dans un souci officiel d’égalité, certaines personnes réclament une même visibilité entre athlètes handicapés et valides. Une demande tout à fait légitime. À titre de comparaison, les Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi à l’échelle nationale, ont été couverts par France Télévisions en majorité, avec plus de 200 heures de direct. Malgré une nette amélioration de la médiatisation des JO paralympiques, télévisés pour la première fois en France, il n’y a que 60 heures de direct, principalement sur les chaînes de second plan (France 4) et sur le quotidien télévisé sportif « Tout le sport », qui ne dure que dix petites minutes entre le journal et Plus belle la vie sur France 3… Une avancée considérable d’un point de vue historique, mais le contraste avec les JO pour valides est encore important. Alors faut-il crier à l’injustice ? Leur manque de visibilité est-elle normale ?
Problème d’identification

Plus qu’un athlète, Usain Bolt est un modèle pour les jeunes sportifs et les téléspectateurs. (Crédit photo : D.R.)
Tout d’abord, en termes d’investissement personnel (incroyablement démesuré, qu’on se le dise), ces athlètes méritent autant, voire plus de visibilité que leurs acolytes valides. En effet, les charges d’entraînement sont aussi lourdes chez les handicapés, ce qui rend leurs performances encore plus admirables pour le téléspectateur. Seulement voilà, le problème de l’identification du téléspectateur vis-à-vis d’un athlète handisport n’est pas automatique. Le jeune sportif devant sa télé tentera plutôt de s’identifier au grand mythe Usain Bolt, triple champion olympique à Londres l’année dernière. Les médias favorisent cette identification aux athlètes valides. La presse internationale, y compris française, qui a vu France 2 réaliser le reportage de « l’Homme le plus rapide du monde », va dans ce sens. Même L’Equipe a offert un poster immense du Jamaïcain à ses lecteurs, une semaine avant le début des jeux en 2012. Aucun poster pour les sportifs handicapés. Chaque fan d’athlétisme se compare à Bolt, comme chaque joueur de football souhaite ressembler à Zidane. Il en va de même pour les sports d’hiver, où Martin Fourcade a été impressionnant à Sotchi, tout comme la star Alexis Pinturault, médaillé de bronze en alpin et nouvelle star française. Les sacres de Marie Bochet n’ont guère été récompensés dans l’opinion publique, du moins pas à la hauteur de ceux de Fourcade.
Des ressources morales au-dessus de la moyenne

Lorsqu’il était à l’INSEP (ici en photo), Jean-Baptise Alaize était un modèle de force mentale. (Crédit photo : D.R.)
L’identification de sportifs amateurs à des athlètes du handisport semble difficile. En revanche, le téléspectateur peut admirer le passé de ces athlètes, certainement plus fort que celui d’un athlète enfermé plus de dix ans dans un 10m² à l’INSEP (Institut national des Sports, de l’Expertise et de la Performance). Rien que pour cela, les athlètes paralympiques méritent une visibilité ; ils doivent être reconnus par leurs compatriotes, car ils sont dignes de raconter leurs folles histoires, souvent dramatiques, mais qui prennent une autre tournure en participant à ces jeux. Une renaissance pour eux.
Jean-Baptiste Alaize, athlète handicapé physique, est né au Burundi en 1991, à la veille d’une guerre civile. À l’âge de trois ans, il est victime du conflit entre les Hutus et les Tutsis et doit être amputé d’une jambe. Devant lui, sa mère décède après des coups de machette infligés par les Tutsis. Jean-Batiste est frappé lui aussi. Il s’en sort après 24h d’inconscience à baigner dans son sang, les soldats croyant l’avoir laissé pour mort. Son père l’abandonne, peut-être pour lui offrir une vie meilleure. Il arrive en France en 1997, est appareillé à l’étranger et est adopté à Montélimar. Ce jeune homme, qui a vécu l’horreur, est désormais très stable dans sa vie, animé d’une profonde joie de vivre. Le tout, atteste-t-il, est dû à sa prise en main pour et par le sport de haut niveau, qui nécessite de gros sacrifices. Les Français aiment les belles histoires, et le paralympisme en est une source. De ce point de vue, le désintérêt pour les jeux handisport est incompréhensible.
Les vertus mentales de ces athlètes sont encore plus importantes que celles des sportifs traditionnels. Ils ont dû se remettre de leurs blessures, ou bien apprendre à vivre avec. Les ressources mentales et physiques sont mises à rude épreuve. Il leur a fallu accepter leur situation. Pis, ils ont dû réapprendre à faire du sport avec leur handicap. Le téléspectateur devrait donc pouvoir s’identifier mentalement à l’athlète handicapé. Mais à une époque où le culte du corps parfait et de la performance physique sont rois, cela reste difficile.
Reprogrammer les JO paralympiques ?
A l’heure, pourtant, où l’être humain est bercé par les publicités et les propagandes télévisuelles, il ne peut en aucun cas suivre les JO paralympiques minutieusement et ce, même s’il affiche une volonté infaillible de les suivre. Un pas pourrait être franchi, encore faut-il que le Comité International Olympique et le Comité International Paralympique trouvent un terrain d’entente. En effet, programmés un mois après les Jeux olympiques, les Jeux paralympiques ne peuvent pas profiter de la vague médiatique produite par les JO. Au contraire, le moment où l’engouement est à son apogée, c’est quelques semaines avant les JO, moment durant lequel le monde entier est dans l’impatience. Alors pourquoi ne pas organiser les Jeux paralympiques avant les JO ?
Jérémy Satis
J’adhère totalement à cet article qui fait place aux vraies questions et à des remarques toutes aussi justes. Vous mettez en avant et à juste titre que France TV a fait un effort considérable cette année, même si l’évènement n’est pas encore suffisamment médiatisé. Les athlètes sont admirables, sportivement, mais aussi par la force de caractère qu’ils doivent déployer pour se dépasser, avec leur handicap en plus.
Peut-on parler pour ces jeux de désamour du public? Pas certain. Mais comme l’offre de retransmission est mince, et comme vous le dites, laissée à des chaines de second plan, et bien le téléspectateur se contente de ses programmes habituels de TF1 ou A2 ! Si ces chaînes diffusaient, il y aurait forcément plus d’écho et plus d’admiration.
Cela dit, en France tous les handicapés ne sont pas des sportifs mais tous doivent faire d’énormes efforts pour s’adapter ne serait-ce que pour vivre la meilleure vie possible. Et là aussi, il y a désamour des français. J’ai eu l’occasion d’aller voir ce qui se disait sur les forums internet lors de l’abandon imbécile de la loi de 2015. Ce qui y est raconté par des valides, et donc quelque part des nantis, est souvent effrayant de bêtise.
Le chemin sera encore long, simplement peut-être parce que le handicap fait peur, nous renvoyant chacun à des risques potentiels pour demain, et il est vrai que des manifestations telles que les jeux paralympiques bien relayées médiatiquement pourraient faire bouger les lignes.
Bravo pour cet article!