ZOOM SUR… Le débat sur l’avenir de la presse aux portes-ouvertes de Libération

Samedi 15 mars, Libération ouvrait ses portes au public. L’échange entre le lectorat et les journalistes s’est notamment fait grâce aux nombreux débats.

La salle de réunion de Libération, dite le hublot, lors de la première rencontre avec les lecteurs à propos de l’état actuel du journal. (Crédit photo : Eloïsa Patricio)

La salle de réunion de Libération, dite le hublot, lors de la première rencontre avec les lecteurs à propos de l’état actuel du journal. (Crédit photo : Eloïsa Patricio)

Dans la salle de conférence de Libération (le hublot, comme on l’appelle), le débat commence à 14h30. Au menu : l’avenir de la presse. Un sujet aussi récurrent que délicat qui intéresse les lecteurs puisque les gens s’entassent encore dans la salle lorsque le débat commence. Ils sont venus nombreux pour participer, échanger, s’exprimer. Le débat est animé par six intervenants : Nathalie Nougayrède ), directrice du journal Le Monde, qui ouvre le débat avec la question de nécessité de la qualité de l’information.
Et un mot : l’optimisme. « C’est une question qui tenaille mais il faut rester optimiste », débute-t-elle. Un état d’esprit actuellement
manquant chez Libération. D’autres débatteurs lui succèdent : Fabrice Rousselot (directeur de la rédaction de Libération) Laurence Franceschini (directrice générale des médias et des industries culturelles au Ministère de la Culture et de la Communication), Julia Cagé  (économiste à Harvard et à l’École d’Économie de Paris), Emmanuel Vire (secrétaire générale du SNJ-CGT) et Alice Antheaume (directrice adjointe de l’École de journalisme de Sciences Po).

La presse gratuite sur Internet : comment la mettre au bénéfice du journal ?

Dès les premiers mots, tous montrent leur étonnement quant au nombre de participants. La directrice du Monde promet même d’ouvrir elle aussi les portes de son grand quotidien. Très vite, la question de l’information gratuite sur Internet est abordée. Emmanuel Vire prend alors la parole et tape du poing sur la table en évoquant la situation délicate dans laquelle se trouvent aujourd’hui les journalistes, et pas seulement chez Libération. « Le journalisme est en crise, le nombre de journalistes est en baisse et la profession se précarise et vieillit. » Les jeunes journalistes ont du mal à s’intégrer dans des rédactions, à l’image d’une jeune journaliste diplômée présente dans l’assemblée, qui intervient dans le débat pour distribuer son CV à Nathalie Nougayrède et Fabrice Rousselot.

LA grande question s’impose alors : comment « monétiser » l’audience des sites internet ? Puisque tout le monde autour de la table s’accorde à dire que la presse de qualité a un prix, comment tirer un bénéfice monétaire des lecteurs internautes ? À cela, et en réponse à Julia Cagé qui déclare que « Libération paye plus d’impôts que ce qu’il reçoit d’aides », Laurence Franceschini, qui parle au nom du gouvernement, se dit prête à prendre des mesures : « Il faut trouver des outils et moyens qui permettent un accompagnement budgétaire et financier à court terme. Le ministère est prêt à regarder les modes de financement pour accompagner la transition numérique ». Sans apporter plus de précisions… Nathalie Nougayrède renchérit : « Se réorganiser pour être au rendez-vous du numérique, c’est aussi s’adapter au format et au rythme du lecteur ».

Nathalie Nougayrède, directrice du Monde, lors du débat sur l’avenir de la presse. (Crédits : Eloïsa Patricio)

Nathalie Nougayrède, directrice du Monde, lors du débat sur l’avenir de la presse. (Crédits : Eloïsa Patricio)

De l’information partout, tout le temps

Car si les lecteurs sont devenus des internautes qui ne paient plus l’information, leur manière de s’informer ne cesse d’évoluer. Comme le rappelle Alice Antheaume, la journée d’un lecteur avisé est rythmée par l’actu, avec des moments clés. S’adapter à cette nouvelle façon de consommer l’information semble être un autre enjeu de taille. Le lecteur attend de l’actualité différente tout au long de la journée. De l’information en temps réelle et disponible sur son téléphone, mais aussi sur sa tablette ou son ordinateur. À la maison, au bureau ou dans le bus ; l’info doit pouvoir être consommée partout et tout le temps. Comment fournir de l’information de qualité dans ces conditions ? Comment faire en sorte que Libération garde ce regard décalé et cette impertinence qui le caractérisent ?

Cette problématique tient également aux propriétaires des médias. Les groupes de presse comptent de plus en plus de médias à leurs actifs, comme le souligne Emmanuel Vire. Ici, il fait alors allusion « au trio » Mathieu Pigasse, Pierre Bergé et Xavier Niel qui accumulent les titres de presse (notamment propriétaires du Monde depuis 2010 et du Nouvel Observateur à 65% depuis janvier 2014. L’indépendance du journal, de façon générale est alors remise en question. Tout comme l’étanchéité à la pub, à laquelle les magazines ont complètement cédé.

Fabrice Rousselot, directeur de la rédaction de Libération, était l’un des six participants au débat sur l’avenir de la presse. (Crédit photo : Eloïsa Patricio)

Fabrice Rousselot, directeur de la rédaction de Libération, était l’un des six participants au débat sur l’avenir de la presse. (Crédit photo : Eloïsa Patricio)

L’atmosphère est de plus en plus tendue dans le hublot et on sent l’urgence dans laquelle se trouve Libération. L’avenir de la presse est incertain mais paradoxalement, chacun compte sur le temps pour livrer une sorte de solution miracle qui sauverait la presse. Seulement, Libération est dans l’urgence. Personne ne sait ce que sera Libé d’ici à la fin du mois. De quoi inquiéter l’équipe du journal mais aussi les lecteurs. Réunis dans cette pièce où la chaleur devient écrasante, personne n’a vraiment de solution mais tous, par leur présence, montrent leur attachement à ce journal si particulier.  Libération c’est une culture, on entendu dans le débat précédent. Et c’est pour défendre cette culture que les gens sont entassés dans le hublot et osent prendre la parole, parfois avec passion et conviction. Au 11 rue Béranger, la solution n’a (malheureusement) pas été trouvée en ce 15 mars 2014, mais la présence de chaque visiteur a touché les journalistes qui traversent actuellement une période difficile .

Eloïsa Patricio

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