« Rester en vie, c’était le vrai défi du film »

France 2 a diffusé le 28 janvier 2014 le documentaire de Michael Pitiot et Yann Arthus-Bertrand : Méditerranée, notre mer à tous. Rencontre avec Michael Pitiot.

 

Michael Pitiot à bord d’un hélicoptère en Libye. (Yann Arthus-Bertrand)

Michael Pitiot à bord d’un hélicoptère en Libye. (Yann Arthus-Bertrand)

Vous avez réalisé le film Planète Océan. Pourquoi se focaliser aujourd’hui sur la Méditerranée ?

Planète Océan est surtout un film sur l’homme. Ce nouveau documentaire est dans la même veine. On parle de civilisations, de religions, de l’invention de la culture. On a voulu revenir à des choses simples : qui on est, d’où on vient. On a la même culture. On est tous un peu musulman, juif, chrétien. Sur ce point, il y a beaucoup à faire dans les consciences. D’ailleurs France 2 nous a félicité pour le film. Selon eux, il incarne les valeurs de la télévision d’aujourd’hui, dont la tolérance.

Pourquoi ce titre “Notre mer à tous” ?

Ce titre est spécifique à la région car le film s’adresse aux spectateurs du bassin méditerranéen. La langue vient de la Méditerranée. La moitié des pratiques qu’on a (notre façon de se nourrir, de dormir, de construire sa maison, de dire bonjour à ses amis, d’aimer…) entrent dans un processus culturel. C’est un code qui vient de plein de pays et qui forge l’identité de la Méditerranée. Il y a une grande part de traditions. C’est ici que le monothéisme est né il y a 2000 ans : quand on entre dans une église en France, on entre dans une église qui est née de la Méditerranée. Le fait de manger beaucoup de céréales est aussi un phénomène symptomatique de la Méditerranée.

Avez-vous noté des transformations en Méditerranée ?

Il y   a des changements dans l’environnement. Le paysage s’est bétonné à vitesse grand V. La Méditerranée reste un secteur touché par la pollution. Par exemple à Beyrouth, on continue de jeter des tonnes d’ordures dans la mer. En France, on fait encore du rejet sauvage. Un autre changement est qu’on est progressivement passé de régions agricoles à des régions urbaines. La rupture dans la pyramide des âges est un phénomène nouveau : la région sud est jeune alors que la région nord est plus âgée en moyenne.

Michael Pitiot (deuxième à gacuhe) et l’équipe de tournage au Liban. (Michael Pitiot)

Michael Pitiot (deuxième à gacuhe) et l’équipe de tournage au Liban. (Michael Pitiot)

Quelles ont été les difficultés pour réaliser ce film ?

Pouvoir tourner ! Les images aériennes sont encore plus difficiles à tourner que les images au sol. En plus de l’autorisation du pays, il y a celle de l’espace aérien du pays. C’est une autorité complètement différente. C’était un vrai défi technique et administratif   : 300 personnes dans vingt pays avec des caméras de cinéma très rares embarquées dans un hélicoptère. On a tourné dans quatre pays dans lesquels personne n’avait jamais filmé : le Liban, la Libye, l’Égypte et l’Algérie. On a dû négocier avec le Hezbollah pour le survol de la frontière syrienne. A deux moments du tournage, il a fallu qu’on dégage très vite car on a failli se faire tirer dessus. Rester en vie était le vrai défi du film.Mais il y avait aussi un défi intrinsèque au film. C’était : “qu’est-ce qu’on dit ?” On est tout de même en train de dire qu’on vient d’une même histoire. Je ne sais pas qui accepte cette idée car aujourd’hui, il y a un détournement de l’autre. On ne veut plus entendre que l’histoire des juifs et des musulmans est la même. Il fallait dire ça sans être accusateur ni choquant. Pour beaucoup de pays arabes, s’associer à Israël pour un tel film était une insulte. Et pourtant, tous ont été formidables et ont joué le jeu.

Quel pays vous a le plus touché ?

J’ai été touché par plein de pays dont le Liban. C’est un pays avec une histoire inouïe de croisements des groupes humains et des religions. J’étais très ému par ce mélange entre les frictions des communautés et l’extraordinaire capacité à vivre ensemble. Un autre souvenir, c’est ma rencontre avec le ministre de la culture libyen. Il m’a convoqué un jour et m’a demandé : “dans ton film, c’est quoi la place d’Israël ?”. J’ai répondu : “c’est un pays qui fait partie du pourtour méditerranéen. Il a une place comme la Libye, comme tous les autres”. Et là, il a eu un silence. Il m’a regardé et m’a dit : “je te fais confiance, tu pourras faire ton film et il faut que tu le fasses”.

 

Camille Degano