« Y’a pas d’avenir là-bas »

Quitter son pays pour la promesse d’une terre meilleure est une démarche millénaire en Méditerranée. Dans un monde en constante évolution, les risques sont bien réels et les désillusions fréquentes.

Regarder la mer et rêver d'une vie plus bel le ailleurs. (Crédit photo : Loïc Masson)

Regarder la mer et rêver d’une vie plus bel le ailleurs. (Crédit photo : Loïc Masson)

Partir en France, construire une nouvelle vie ailleurs, c’était “un rêve de gosse” pour Ahmed (dont le prénom a été changé pou ce témoignage, par souci d’anonymat). Ce jeune migrant tunisien a un parcours tristement banal. Comme tant d’autres, il est “diplômé mais y’a pas d’avenir là-bas”. Un jour de mars 2011, peu après la “Révolution de la dignité” tunisienne, il saute le pas, paye un passeur et prend le bateau. Direction : Lampedusa. La petite île italienne, tristement célèbre, n’est bien souvent qu’une étape dans le trajet d’un migrant. Ahmed y restera presque deux semaines. Ses souvenirs parlent d’eux-mêmes : “Beaucoup de monde. Pas de place. Ça a été très mauvais. Mais ça s’ passe. Ça s’passe…”. Depuis 1988, près de 6 000 migrants sont morts au large de Lampedusa. Plus que n’importe où en Méditerranée. “Certains restent, certains font demi-tour, d’autres se dispersent” : Ahmed continue, il rejoint l’Italie via la Sicile. Il pourrait rester, mais là n’est pas son objectif : “la France, j’en rêve depuis que j’ai 5 ans”. Sur le continent, il prend le train jusqu’en France et arrive à Nice qu’il n’a pas quitté depuis. C’est la fin du voyage, mais les galères continuent. Ahmed n’est pas protégé par la convention de Genève, qui assure la prise en charge des ressortissants étrangers. Elle ne prend en compte que cinq critères d’éligibilité (race, religion, nationalité, groupe social et opinions politiques si ceux-ci constituent un danger pour l’individu). Sans espoir d’obtenir l’asile, son seul recours est le tissu associatif. Amnesty, Cimade, Habitat et Citoyenneté, Secours Catholique… Les volontés sont mobilisées à Nice, ville carrefour des flux migratoires méditerranéens.

Les principaux flux migratoires sur le pourtour méditerranéen. (Crédit : Aurélie De Larquier)

Les principaux flux migratoires sur le pourtour méditerranéen. (Crédit : Aurélie De Larquier)

“Tout est difficile”

Être clandestin en France, qu’est-ce que ça implique ? Ahmed sourit : “tout est difficile. C’est un cauchemar”. La loi française ne lui accorde le droit ni au logement, ni au travail. Les perspectives sont maigres : travailler sur des chantiers ou des marchés, grâce au bouche à oreille. Toujours bouger, de squats en squats, et bien sûr éviter la police. En a-t-il peur ? “J’ai déjà pris tous les chemins de la mer, même sur une planche. J’ai perdu 19 kilos. J’ai dormi un an et demi sur des cartons. Y’a rien qui me fait peur”. En France, un clandestin illégal risque à tout moment la reconduite à la frontière. C’est le sort réservé chaque année à 30 000 personnes en situation irrégulière, selon la Cimade. Si le quotidien d’Ahmed est si compliqué, c’est parce qu’il n’est pas demandeur d’asile. Mais même les bénéficiaires de ce droit s’engagent dans un épuisant combat procédurier, sans garantie de résultat. En 2010, ils étaient 53 000 à avoir entrepris les démarches. Seul 20 % ont vu leur demande aboutir. Tout cela après des mois d’attente et de précarité (300 euros d’allocation mensuelle par famille, interdiction de travailler et accès au logement restreint aux familles). Des chiffres qui bien sûr fluctuent au gré des contextes géopolitiques. Les clandestins comme Ahmed ne sont pris en charge par aucun organisme officiel. Ils ne sont référencés nulle part. Il n’ éxiste aucun chiffre fiable. Aux yeux de l’administration, ils n’existent pas. Ce sentiment pèse sur Ahmed au quotidien dans une société où il n’a pas sa place. “Je suis invisible”. Il reste digne dans la souffrance. Cette humanité trahie, c’est peut-être ça le plus dur.

Droit d’asile, pas si simple

En Méditerranée, la migration est un facteur d’enrichissement culturel. En France comme dans l’UE, elle est régie par des règles bien précises. L’accès au droit d’asile n’est pas un processus automatique. Légalement, l’étape obligatoire de tout migrant est la demande d’asile. Régies par un processus complexe, peu aboutissent. Le Règlement de Dublin stipule qu’un migrant vers l’Union Européenne ne peut produire sa demande que pour un seul pays, déterminé par différents facteurs (la plupart du temps, il s’agit du premier pays traversé dans l’Union). Les demandes sont limitées pour les ressortissants des pays dits “d’origine sûre”. Cette notion, introduite en droit français en 2003 et mise à jour par le conseil d’administration de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides) restreint les demandes d’asiles pour les migrants originaires des pays concernés. Il y en a actuellement 18 (Albanie, Arménie, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Géorgie, Ghana, Inde, Kosovo, Macédoine (ARYM), Maurice, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Sénégal, Serbie, Tanzanie et Ukraine). L’immigration constitue un enjeu géopolitique majeur en Méditerranée. En France, 5,3 millions d’immigrés vivaient sur le territoire en 2008, soit 8,4% de la population. En 2010, le gouvernement français consacrait 72 millions d’euros à la mission “immigration, asile et intégration” et 90 millions d’euro à la lutte contre l’immigration irrégulière.

Mathias Hubert

Loïc Masson