Combattre la pensée unique grâce à la presse libre #1/2

Chaque année, les Rencontres Économiques se déroulent à Aix-en-Provence (13). Mais qui a déjà eu vent des Rencontres Déconnomistes ?

Les Rencontres Déconnomistes avaient notamment lieu à la Faculté de Lettres d’Aix-en Provence. Crédit Photo : Nicolas Richen

Moins connues, ces dernières se sont déroulées du 4 au 6 juillet derniers. Elles offrent depuis 2012 une vision de l’économie à contre-courant de la pensée néolibérale, à travers des conférences, des animations de rue, ainsi que du cinéma, du théâtre et de la musique. Ces rencontres se déroulent chaque année pendant trois jours, elles ont été créées par un collectif de citoyens souhaitant miser sur l’éducation populaire pour « combattre la pensée économique unique ». Plusieurs journalistes défendant une vision critique des médias de masse étaient encore invités cette année. Retour sur les moments forts d’un forum où ces derniers se sont interrogés, avec des citoyens, sur l’avenir, le rôle et l’importance de la « Presse Pas Pareille¹ ».

« Donner une tribune à la pensée économique foisonnante, déconstruire la pensée unique, bouleverser les idées préconçues et proposer des alternatives », tels sont les quatre mots d’ordre du collectif de citoyens « Les Déconnomistes » créé en 2012. C’est dans ce cadre empreint d’un esprit taquin, inventif et studieux que différents intervenants sont venus défendre la presse indépendante et alternative aux médias dominants. Daniel Mermet (France Inter), Michel Gairaud (le Ravi; lire le portrait du journal), Serge Halimi (Le Monde Diplomatique), François Ruffin (Fakir) et Hervé Kempf (Reporterre.net) ont partagé leurs expériences et leur vision du journalisme durant cette manifestation.

Opacité et absence de débat public dans les choix de Radio France, selon Daniel Mermet

Daniel Mermet a animé Là-bas si j’y suis durant 25 ans. Crédit Photo : Jean-Marie Plume

Daniel Mermet a animé Là-bas si j’y suis durant 25 ans. Crédit Photo : Jean-Marie Plume

« France Inter est née des idées du Conseil national de la Résistance (CNR). À sa création, il était question de s’éloigner des puissances d’argent », rappelle Daniel Mermet, animateur de l’émission Là-bas si j’y suis, reconnue pour son regard critique et engagée à gauche. Celle-ci a récemment été supprimée de la grille de programmation : des personnalités publiques et des auditeursont tiré la sonnette d’alarme en estimant qu’il s’agissait d’un énième coup dur pour la pluralité de la presse. « C’est un choix politique », a pour sa part dénoncé Daniel Mermet dans lesInRocks.

Le journaliste, indigné par le fonctionnement de son ex-entreprise, a mis le doigt sur ce qu’il considère comme les travers de Radio France, financée grâce à la redevance audiovisuelle : « Qui sont les gens qui dirigent Radio France ? Comment en arrivent-ils, un beau matin, un 27 juin 2014, à vous dire « Bonjour Daniel, j’ai deux choses à vous dire. L’une, c’est que votre émission disparaît et que vous ne serez pas à l’antenne à la rentrée. Vous voulez un café ou un thé ? » Qui est cette personne qui dit ça ? Qui lui a donné le pouvoir de dire ça ? Elle a été choisie par la direction qui est choisie elle-même par le CSA. Comment le président de Radio France et le directeur général ont-ils été choisis ? Ils se sont présentés devant le CSA à la suite d’un long travail de lobbying, de sape, m’ont-ils dit. Leur projet n’a été connu que par les membres du CSA. Ça s’est fait dans le secret; il n’y pas eu de débat public et il n’y en a jamais avec la direction au sujet du contenu de l’émission. »

Le cofondateur d’ATTAC, fier d’avoir tendu le micro à des voix discordantes comme celle du linguiste Noam Chomsky ou de l’économiste Frédéric Lordon, approfondit sa réflexion : « C’est là qu’on peut voir la façon dont l’idéologie dominante a réussi à s’imposer par une apparence de neutralité et par le choix de mesurer notre travail et l’écoute des auditeurs à travers les seuls outils de la publicité; les outils des marchés financiers comme Médiamétrie. » Daniel Mermet, pour qui l’effort démocratique à propos des choix d’un média — notamment en termes de programmation — apporte de la légitimité à la direction, conclut : « On aurait pu penser qu’une maison comme Radio France, une telle industrie culturelle avec ses 14 millions d’auditeurs quotidiens, aussi influente dans la fabrique de l’opinion, pouvait faire l’objet, dans ses orientations, d’un débat public. […] Sans se soucier de quoi que ce soit, et selon leurs caprices, leurs revanches, leurs humeurs et leurs idées, ils [les dirigeants] ont le pouvoir de vie ou de mort sur une partie de ceux qui font l’antenne. »

A suivre …

Nicolas Richen

¹ Cette terminologie mise en avant par l’équipe du mensuel le Ravi englobe la presse alternative, indépendante des puissances d’argent et des puissances politiques. Un collectif de titres « pas pareils » — qui devraient bientôt comprendre des médias radiophoniques et télévisuels — s’est formé et demande une reconnaissance et un soutien financier de l’État. Lire l’appel des médias libres.