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Combattre la pensée unique grâce à la presse libre #2/2
Chaque année, les Rencontres Économiques se déroulent à Aix-en-Provence (13). Mais qui a déjà eu vent des Rencontres Déconnomistes ?
« La pub ne s’intéresse pas à nous pour des raisons idéologiques » — Serge Halimi, directeur du Monde Diplomatique
Comment financer la presse indépendante ? La capacité d’un média à être indépendant, à faire des enquêtes de fond et à être parfois impertinent dépend fondamentalement de son mode de financement. Plusieurs médias indépendants et alternatifs décident ainsi d’opter pour un modèle associatif ou pour une société coopérative et participative (Scop). Les abonnements sont une source vitale pour la presse libre, mais ils ne suffisent pas à payer une petite équipe de salariés comme celle du Ravi. Organiser des levées de fonds², faire un travail d’éducation populaire auprès du public et tisser des liens avec le milieu associatif pour faire connaître son journal devient alors essentiel. Par ailleurs, le collectif de la « Presse Pas Pareille » remet en question le système d’aides à la presse mis en place par l’État. Il profite aux grands journaux bien souvent détenus par les plus grandes fortunes de France et à des titres qui ne proposent aucun contenu journalistique — comme Télé 7 Jours et Télé Star³.
Les médias indépendants essayent de vivre en se détachant de la publicité pour garder pleinement leur indépendance éditoriale. « La publicité est une alliée formidable pour nous à France International, car il n’y en pas », plaisante Daniel Mermet, qui assure que ce facteur explique en partie la fidélité des auditeurs. « La pub ne s’intéresse pas à nous pour des raisons idéologiques. […] Nous n’intéressons pas leur univers mental », reconnaît Serge Halimi. « La publicité abandonne de plus en plus la presse écrite quel que soit le titre. Elle se déplace vers Internet, car les moteurs de recherche comme Google sont plus rentables car ils ciblent mieux les consommateurs », constate le directeur du Monde Diplomatique, auteur de l’ouvrage Les nouveaux chiens de garde.
Le film de Gilles Balbastre et de Yannick Kergoat inspiré en partie par l’essai éponyme de Serge Halimi. Ce documentaire a été boudé par les médias de masse, conformément aux attentes des deux réalisateurs.
Le journaliste est favorable aux dons de contenus journalistiques en ligne : « il faut expliquer aux internautes que cela n’est possible que s’ils font eux-mêmes des dons au journal. Nous n’avons aujourd’hui plus que 150 000 euros de recettes publicitaires, mais depuis quelques années, nous avons lancé des campagnes d’appel au don qui nous rapporteront cette année plus de 200 000 euros », poursuit Serge Halimi, en expliquant « qu’il faut expliquer sans relâche [au public] que l’information gratuite n’existe pas. C’est la même chose pour les documentaires et les travaux originaux: quand vous allez les voir sur Internet, cessez d’avoir cette mentalité vraiment insupportable qui consiste à dire « puisque c’est Internet, c’est gratuit ». »
Crise de la presse écrite : le Web a bon dos
Internet serait-il à l’origine de tous les maux de la presse écrite ? Cette explication est trop facile pour les journalistes présents à cette tribune. « Un des motifs de la crise de la presse, c’est l’uniformisation de ces fameuses « expertises ». Globalement, les journalistes de la presse pareille [les médias de masse] donnent toujours la parole aux mêmes personnes. Gilles Balbastre l’a très bien montré dans Les nouveaux chiens de garde. On tourne donc en rond. Il y a donc une nécessité de proposer une contre-expertise. L’émergence du Web nous a secoués pour inventer un journalisme moins vertical, plus participatif », estime Michel Gairaud du Ravi. Son journal propose par exemple des ateliers de presse écrite et ouvre ses colonnes à ceux qui sont en souffrance sociale. « Quand on va dans les écoles, on constate que les jeunes s’informent le plus souvent à travers les chaînes en continu. C’est catastrophique. Et pourtant, ils comprennent ce qui dysfonctionne dans les médias de masse, mais ils en sont malgré tout les principales victimes », poursuit le rédacteur en chef du mensuel satirique. Il pense également que la presse doit faire davantage écho à la richesse des alternatives, aux résistances multiformes, aux initiatives ainsi qu’aux propositions citoyennes, et ne pas parler uniquement « des trains qui déraillent ».
« L’enjeu pour la « Presse Pas Pareille », c’est de parler de sujets que ne traitent pas les médias dominants », estime Hervé Kempf, rédacteur en chef de Reporterre.net. Ce journaliste a quitté Le Monde en 2013. « Que je quitte volontairement un titre prestigieux étonnera peut-être. Mais certes moins que la raison qui m’y pousse : la censure mise en œuvre par sa direction, qui m’a empêché de poursuivre dans ce journal enquêtes et reportages sur le dossier de Notre Dame des Landes », expliquait notamment Hervé Kempf sur son site. À travers Reporterre.net, le quotidien de l’écologie, il souhaite encourager des « jeunes qui veulent exprimer leurs talents d’emmerdeurs et de fouineurs ». «Il faut continuer de trouver des lieux et des médias qui produisent autre chose, tout en critiquant les médias qui disent la même chose. Nous, les titres pas pareils, nous sommes encore petits », conclut Serge Halimi. Car les médias indépendants pèsent encore peu dans le débat public. Plusieurs disparaissent aussi vite qu’ils sont apparus : ils se cassent les dents sur la réalité économique et leur choix de ne pas être inféodés. Mais la presse alternative n’en demeure pas moins riche, même si elle est bien souvent méconnue par le grand public. Prochainement, Buzzles vous proposera une liste non exhaustive de ces médias qui se rejoignent souvent sur trois axes : la liberté éditoriale qui découle d’une indépendance des pouvoirs financiers et politiques et le souci de montrer quelles sont les alternatives à la pensée néolibérale et au capitalisme.
Nicolas Richen
² Pour les dons adressés aux médias, une défiscalisation à hauteur de 66% est prévue. Les médias proposant un contenu exclusivement en ligne sont aussi concernés s’ils sont reconnus comme « association à but culturel. L’Observatoire des médias Acrimed a récemment remporté une bataille juridique à ce sujet.
³ Le classement 2013 des titres les plus aidés.