« J’ai compris que la dépression était une agression »

Céline Curiol était présente à la 27è édition du Festival de Mouans-Sartoux pour son essai, Un quinze août à Paris. Buzzles l’a rencontrée. Interview.

Céline Curiol est une écrivaine française, originaire de Lyon. Après des études d’ingénieur et de journalisme, elle a concrétisé sa passion pour l’écriture. Un quinze août à Paris, publié en mai 2014, est son cinquième ouvrage.

La première de couverture du cinquième roman de Céline Curiol. (Crédit D.R.)

La première de couverture de l’essai de Céline Curiol. (Crédit D.R.)

 

Quelle a été la démarche pour écrire ce livre ?

Dans cet essai, je raconte la dépression que j’ai vécue après la mort de mon père et une séparation amoureuse. C’était en 2009. J’essaye de comprendre et de décrire ce phénomène, qui est plus répandu qu’on ne le pense (ndlr : plus de 350 millions de personnes sont dépressives dans le monde). A travers les différentes lectures que j’ai effectuées, je tente de qualifier la maladie. J’espère que, grâce à ce livre, d’autres personnes se sentiront libres de parler de leur expérience.

 

Au début, vous considériez la dépression comme un état passager. Pourquoi ?

Effectivement, quand la dépression a commencé, je ne réalisais pas. C’était une expérience nouvelle. Je n’étais pas avertie de ce qui était en train de se passer. Je ne savais pas quand ça allait s’arrêter et si j’allais réussir à sortir de cet état. J’étais dans le déni : j’ai mis un certain temps avant d’accepter. Et pendant ce temps, la maladie s’est installée …

 

Justement, dans ce livre, vous parlez de la dépression comme d’une maladie. C’était important de le démontrer ?

 J’ai entendu pas mal de choses sur la dépression. L’idée était qu’elle provenait d’un manque de volonté, que la victime était responsable de son état et qu’elle devait être en mesure de le contrôler. Mais en fait, à travers mes lectures et mon expérience, j’ai compris que la dépression était une agression, un dysfonctionnement du système physique et mental. Il était donc important pour moi de la penser comme telle.

 

Finalement, on peut dire que la littérature vous a sauvée …

Oui, cela m’a permis de sortir de ce ressassement et de cette angoisse qui m’immobilisaient. La lecture et l’écriture ont été de vrais outils pour essayer d’ouvrir cet esprit qui tournait en rond.

 

Pourtant, à certains moments de votre dépression, vous ne réussissiez plus à écrire ?

C’était le moment le plus dur… C’était une période où cette activité me paraissait vaine et inintéressante. Je me disais « Mais pourquoi on fait ça ? » En plus, je n’avais pas tellement d’idées. Il a fallu un certain temps pour que ça revienne, car sortir de la dépression prend un certain temps. Elle est faite de progrès et de rechutes. Ça vient petit à petit. Il n’y a jamais eu de remontée fulgurante.

 

Céline Curiol, au stand Actes Sud, dimanche 5 octobre, lors du Festival du livre de Mouans-Sartoux (Crédit photo: Camille Degano).

Céline Curiol, au stand Actes Sud, dimanche 5 octobre, lors du Festival du livre de Mouans-Sartoux (Crédit photo: Camille Degano).

 

Vous évoquez William Styron. Dans Face aux ténèbres, il explique que les « personnalités artistiques » sont plus enclines à la dépression. C’est vérifié pour vous ?

 C’est une question que je me suis posée et je n’arrive toujours pas à savoir si c’est vrai tout le temps. Par exemple, le peintre Henri Matisse a créé dans la joie mais il n’a jamais utilisé la dépression comme source d’inspiration. Donc cela dépend des personnes. Pour moi, ça a pu être prouvé. Reste à savoir si c’est la dépression qui pousse à se servir de l’écriture comme une aide ou si c’est le fait d’écrire qui rend dépressif. Car quand on est écrivain, on est isolé du reste du monde. C’est un cercle vicieux : on ne sait pas exactement ce qui a commencé en premier.

 

A la fin du livre, vous remerciez le centre culturel des Cèdres de Mouans-Sartoux. Il vous a aidée pour écrire votre essai?

Je suis restée trois mois l’an dernier à Mouans-Sartoux, ce qui m’a permis de m’isoler. J’ai ainsi pu terminer la rédaction de mon livre. Étant donné que c’est un lieu où je n’ai jamais vécu, ma vie sociale s’est réduite. Donc j’étais très concentrée là-dessus.

 

Maintenant, vous êtes attachée à la ville alors ?

Oui, et c’est un plaisir de revenir ici pour le Festival du livre. Il bouge beaucoup et on y fait des rencontres. C’est un moment particulier.

 

Propos recueillis par Camille Degano