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Ukraine : Poutine rebrousse chemin
Vladimir Poutine a ordonné à son ministre de la Défense, Sergueï Soïgou, de retirer les troupes postées dans la région de Rostov depuis cet été à la frontière ukrainienne. Cette annonce marque un revirement dans l’expansionnisme mené par le dirigeant russe et devrait apaiser les tensions liées au conflit qui ont rappelé au monde que le spectre de la Guerre froide plane toujours.

Vladimir Poutine et Barack Obama apparaissaient tendus, à l’occasion du G8 qui s’était tenu en Irlande, en juin 2013. (Crédit photo : AFP)
« Le chef de l’Etat a chargé le ministre de la Défense de commencer à faire revenir les troupes vers leurs bases permanentes » a annoncé, dans la nuit du samedi 11 octobre, Sergueï Soïgou. Cet ordre de Vladimir Poutine concerne le retrait de 17 600 soldats russes stationnés à la frontière ukrainienne et prouve qu’il veut revenir sur sa politique expansionniste. Le ministre a ensuite déclaré « l’entraînement d’été sur les champs de tir du district militaire sud-est terminé ». La démilitarisation de cette zone, en crise humanitaire, devrait désamorcer le conflit qui n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis le début du soulèvement pro-européen sur la Place de l’Indépendance à Kiev, en novembre dernier. Malgré cette initiative, l’équilibre géopolitique reste précaire.
La « Novorossia » : Oligarchie (dé)mesurée sur fond de Russie fédérale
Cette décision du Président russe a de quoi surprendre. Elle prend à contrepied toute sa stratégie d’élargir son orbite de contrôle à l’Ukraine mise en place en secret au printemps dernier.

« Bisous de Crimée », le Président russe a une influence importante dans les régions à majorité russophone d’Ukraine et d’Europe. (Crédit photo : Reuters)
Poutine paraissait jusqu’à présent déterminé à étendre la domination russe aux anciens territoires de l’URSS : la Géorgie, la Lettonie (sur laquelle il a beaucoup d’influence), la Lituanie, et bien entendu les provinces pétrolifères de l’Est de l’Ukraine (oblasts de Louhansk et Donetsk).
L’ONU accuse la Russie de commettre des « actions militaires illégales ». La Russie aurait déployé près de 20 000 soldats à la frontière ukrainienne depuis cet été (3 000 « volontaires en vacances » selon les forces séparatistes et 100 000 militaires selon Kiev) et appuierait les ukrainiens pro-russes en conflit avec l’armée loyale à Kiev. Vladimir Poutine a toujours démenti ces accusations malgré la capture de parachutistes russes par l’armée ukrainienne fin septembre.

Militaires russes faits prisonniers par l’armée ukrainienne les 27 et 28 septembre alors qu’ils avaient traversé la frontière « par accident ». (Crédit photo : AFP)
Face à cette ambition affichée de « reconstruire » la Grande Russie, dont les Russes sont pour beaucoup nostalgiques, la réaction des puissances occidentales s’est limitée à des sanctions économiques et un appui diplomatique et matériel à l’Ukraine. Quelques jours après son anniversaire, Poutine, l’ancien membre du KGB, semble enclin à assagir les relations entre la Russie, l’Ukraine et les pays occidentaux. Ces derniers ayant augmentées les mesures de sanction depuis l’annexion de la Crimée en mars 2014.
« Qui gagne, qui perd ? », le spectre de la Guerre froide
Depuis le début de ce conflit, le gouvernement de Kiev et Moscou s’accusent respectivement de violation du droit international et s’imposent mutuellement embargos et restrictions économiques.

Des chars arborant des drapeaux russes dans la ville de Slaviansk en Ukraine, en avril 2014. (Crédit photo : Reuters)
En novembre dernier, alors que le Parlement ukrainien évinçait Viktor Ianoukovitch (Parti des Régions, auquel Poutine est favorable), la Russie l’accueillait sur son sol et refusait de reconnaitre le nouveau gouvernement d’Olexandr Tourtchynov, Président par intérim de la Rada (le Parlement ukrainien). De son côté, le gouvernement ukrainien et les Nations Unies déclaraient invalide le référendum d’autodétermination du 16 mars sur l’avenir de la Crimée l’estimant dirigé par le Kremlin. L’annexion de la région et l’envoi de troupes au sol par la Russie a donné le ton.
Appuyant la cause ukrainienne (à forte tendance pro-européenne), les Etats-Unis et l’Europe réagissaient en excluant la Russie des débats du G8, en mars dernier, avant de lui infliger plusieurs séries de sanctions économiques. Le « bloc » occidental n’a jamais souhaité s’opposer militairement à Poutine et son soutien à l’Ukraine s’est cantonné à un appui diplomatique, économique et matériel.
En septembre, lors d’une conférence internationale sur la stratégie pro-européenne de l’Ukraine, le Premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, dénonçait : « Le but final de Vladimir Poutine n’est pas seulement les régions de Donetsk et de Lougansk, il veut s’emparer de l’Ukraine entière ». Quant à elle, la Russie a toujours démenti ces accusations et plaider que son action se limitait à expédier des convois humanitaires.
Ces stratégies d’affaiblissement par factions et économies interposées (ukrainiens pro-européens contre séparatistes pro-russes) ont projeté sur le monde le spectre de la Guerre froide que les nostalgiques de l’URSS et des euromissiles à la sauce Burger ont dû apprécier.
Retour au calme précaire
Au-delà des enjeux politiques et diplomatiques, depuis le cessez-le-feu signé à Minsk le 5 septembre, l’ONU fait état de 331 morts, victimes des combats entre l’armée ukrainienne et les séparatistes pro-russes. Preuve que les tensions restent vives sur le terrain des affrontements (qui ont déjà fait plus de 3600 morts sans compter d’éventuels soldats russes), la semaine dernière encore, les obus pleuvaient sur Donetsk, « capitale » russe d’Ukraine à majorité russophone.

Alexandre Zakhartchenko, le « Premier ministre » de la DNR à Donetsk, le 15 septembre. (Crédit photo : Philippe Desmazes / AFP)
Néanmoins, selon l’AFP, les séparatistes pro-russes et l’armée loyaliste semblent désormais prêts à déposer les armes. Alexandre Zakhartchenko, le « Premier ministre » de la république auto-proclamée de Donetsk (la République Populaire de Donetsk, DNR en ukrainien) s’est déclaré disposé à retirer sur armes lourdes à condition que le cessez-le-feu soit effectif pendant 5 jours. Kiev s’est dit favorable à la mise en place effective des accords de Minsk.
La démilitarisation de cette zone a pour but certain d’apaiser significativement les tensions diplomatiques entre la Russie et l’Ukraine en vue d’une rencontre entre Vladimir Poutine et son homologue ukrainien Petro Porochenko le 17 octobre prochain à Milan. La rencontre se déroulera en présence d’Angela Merkel, Matteo Renzi et David Cameron, entre autres. L’hiver approchant, un entretien doit également avoir lieu entre les deux hommes, autour des conditions de livraison du gaz russe à l’Ukraine, le 21 octobre à Berlin.
« On peut s’attendre au mieux à un véritable arrêt des violences et à un gel du conflit, au cours duquel aucune des deux parties n’aura atteint ses objectifs » souligne l’analyste ukrainien, Olexandr Souchko. Les prochaines semaines risquent donc d’être décisives dans le processus de paix et de normalisation des rapports économiques et politiques entre les acteurs de ce conflit.
Grégoire Bosc-Bierne