Les quartiers populaires font la Une

Dans certains quartiers les journalistes sont vus comme des ennemis. A qui la faute ? C’est sur cette question que débutait l’après-midi de débats sur les médias et les milieux populaires, vendredi 17 octobre aux Assises.

Alter Échos, Le Journal Officiel des Banlieues et le Ravi, trois titres qui, chacun à leur façon, donnent la parole aux milieux populaires. (Crédit Photo: Nicolas Richen)

Alter Échos, Le Journal Officiel des Banlieues et le Ravi, trois titres qui, chacun à leur façon, donnent la parole aux milieux populaires. (Crédit Photo: Nicolas Richen)

Déconstruire les stéréotypes par la proximité
Dans le contexte actuel, marqué par la montée des extrémismes, les amalgames sont de plus en plus fréquents. En cause, certains médias qui alimentent parfois les stéréotypes. Nordine Nabili souhaite, avec le Bondy Blog, déconstruire ces préjugés. Mais pour cela « Il faut que le périphérique fasse bouger l’intramuros ». Le chantier consiste à donner la parole aux habitants des quartiers populaires. Les médias indépendants, associatifs et participatifs veulent faire émerger les initiatives citoyennes, se frotter aux classes populaires pour les mettre en avant. L’objectif et s’adresser à un public qui lit peu la grande presse et les titres nationaux. Michel Gairaud, rédacteur en chef pour Le Ravi, mensuel d’enquête en région PACA, souhaite « bousculer la hiérarchie des médias dominants. Être indépendant du pouvoir économique et politique est un avantage pour lutter contre la discrimination, car il n’y a pas de lissage, d’uniformisation des contenus ».

le Ravi collabore notamment avec la Fondation Abbé Pierre et propose des ateliers de presse, où les citoyens participent à l'élaboration de cahiers spéciaux sur différentes problématiques comme celle du logement à Marseille. (Crédit Photo: Nicolas Richen)

Michel Gairaud, rédacteur en chef du « Ravi ». Le journal collabore notamment avec la Fondation Abbé Pierre et propose des ateliers de presse, où les citoyens participent à l’élaboration de cahiers spéciaux sur différentes problématiques comme celle du logement à Marseille. (Crédit Photo: Nicolas Richen)

Les personnes issues de milieux défavorisés sont confrontées au chômage et affichent souvent une méfiance envers la politique (illustrée par un fort taux d’abstention). Cette réalité de surface, sans cesse répétée dans la plupart des médias, conforte et accentue les préjugés sur la vie dans ces quartiers. Mais les habitants des cités ne se reconnaissent pas dans les reportages et ne se sentent pas écoutés. Le bureau de France 3 Bobigny veut corriger l’image de ce département, en montrer ses bons et ses mauvais côtés. Juste relater la vérité. Pour cela, il faut s’immerger dans les quartiers. Mathieu Caillaud, journaliste à France 3 Bobigny, compare cette méthode de travail à une sortie de plongée : « Quand les plongeurs remontent à la surface, des gens leur demandent souvent s’ils ont vu des requins. Les plongeurs répondent que oui mais pour eux c’est habituel, ils les côtoient avec familiarité et sérénité. » Pour les journalistes, c’est pareil : « Quand on me demande si je me fais agresser, je me rends compte que les médias jouent un rôle majeur dans ces préjugés car c’est très loin de ce que je vis sur le terrain ». Il faudrait selon lui offrir ce baptême de plongée à certains médias, autrement dit leur permettre de changer leur vision des banlieues. Et, dans l’idéal, leur faire oublier les clichés.

Faciliter l’accès à la profession
Quand on regarde dans la cour des écoles de journalisme, le nombre d’élèves de « type Sciences Po » domine. La diversité sociale ou ethnique n’est pas toujours assurée. La plupart des formations demandent un coût financier important pour des élèves venant de milieux défavorisés. Ils sont ensuite sous-représentés dans les médias. Pour Laurence Lascary, créatrice de la société de production De l’autre côté du périph’ « il faudrait pouvoir s’identifier à quelqu’un qui ne nous ressemble pas ». Mais un journaliste qui connaît le quotidien des banlieues saura plus facilement transmettre l’information au public. Ainsi, le but est d’« abattre les barrières pour banaliser la diversité sur les écrans », laisser la parole à la différence. Laurence Lascary a dû déjouer les préjugés pour devenir chef d’entreprise. « Je suis une femme, noire, jeune et originaire de Bobigny : autant dire que j’étais mal partie pour réussir » plaisante-t-elle.

« Avec mon frère quand nous étions jeunes, nous nous amusions à regarder les génériques après les émissions. On scrutait l’écran pour repérer les noms à consonance étrangère. On n’en trouvait pas souvent ! », s’amuse Farid Mebarki, aujourd’hui président de Presse & Cité. Faire vivre les quartiers, développer la richesse des mélanges culturels sont les objectifs du Journal officiel des banlieues. Par ce projet, l’association souhaite atténuer le clivage entre les groupes sociaux et intéresser les habitants des quartiers populaires à l’information. Certains jeunes des milieux défavorisés accèdent au métier de journaliste mais ils restent minoritaires. L’ESJ Lille, par exemple, a créé une classe préparatoire gratuite pour les boursiers afin de leur permettre de rentrer dans des grandes écoles. Pour Yves Renard, directeur adjoint de l’École, il faudrait réformer le système classique pour « rencontrer de nouveaux talents, des points de vues différents ».

Si les initiatives sont nombreuses en ce sens, on mesure chaque jour dans les grands médias le chemin qu’il reste à parcourir.

Raphaëlle Daloz
Nicolas Richen

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