Les journalistes face à la barbarie

Comment parler des exactions des organisions terroristes sans relayer leur propagande ? Faut-il montrer les images et vidéos des décapitations comme celles de James Foley ou encore d’Hervé Gourdel ? Beaucoup d’incertitudes et de questions posées le 17 octobre aux Assises.

James Foley, journaliste exécuté pour avoir fait son métier (DR)

James Foley, journaliste exécuté pour avoir fait son métier (DR)

Vendredi 17 octobre, aux Assises du journalisme à Metz, des professionnels se sont interrogés sur la position à adopter face à la barbarie. Un hommage a aussi été rendu aux journalistes tués ou retenus dans le monde. Beaucoup de rédactions se sont posé la question de la nécessité d’envoyer des journalistes dans des zones dangereuses. Pour Philippe Rochot, grand reporter et ex-otage au Liban en 1986, envoyer des journalistes sur ces terrains est dangereux. «Pour les groupes terroristes, un journaliste porte sur lui sa nationalité : il est d’abord Français, Anglais, Américain, avant d’être journaliste. Il faut saluer le courage de certains de nos confrères qui continuent de prendre le risque d’y aller. » Edith Bouvier, journaliste indépendante, en fait partie. Elle a couvert de nombreux conflits, dont la Syrie en 2012. Elle connaissait James Foley, Camille Lepage ou encore Rémi Ochlik.  « Pour tous les journalistes tués dans l’exercice de leur métier, il faudra continuer d’informer, aller sur le terrain et raconter le visage des populations locales. Raconter leur histoire pour dénoncer l’horreur de certains extrémistes. Ils ne gagneront pas la bataille de l’information, je vous le promets. Parce que si on renonce, James et Steven auront été tués pour rien» s’exclame, émue, Edith Bouvier.

Alain Le Gouguec est le président de Reporter Sans Frontière. Pour lui « Lutter contre la barbarie, c’est aussi lutter contre l’impunité qui profite aux barbares : 9 tueurs de journalistes sur 10 ne sont pas poursuivis ». Des chiffres effrayants et injustes. « C’est exactement ce qu’ils cherchent, nous sidérer, nous plonger dans l’effroi »

Un débat grave et des intervenants engagés dans la cause du journalisme (Crédit photo  : Manon David)

Un débat grave et des intervenants engagés dans la cause du journalisme (Crédit photo : Manon David)

Que faire de leur propagande ?

Les organisations terroristes ont compris l’importance de la communication. Elles ont développé leur présence sur les réseaux sociaux, diffusent des photos, des vidéos pour vanter leurs « exploits » sur le terrain, pour montrer la décapitation de leurs otages. « Evitons d’encourager la peur, la psychose. Ne tombons pas dans les pièges que nous tend l’organisation Etat Islamique, ne diffusons pas les photographies, même floutées de ces actes barbares. Au contraire, rendons à ces victimes leur dignité en diffusant leur portrait d’avant l’enlèvement.» s’indigne Alain Le Gouguec. Pour Philippe Rochot, diffuser  « tout au plus une photo de l’otage floutée devant son bourreau, montrera la cruauté des ravisseurs et aidera le public à condamner ces actes. »

Le cyberactivisme : nouvelle forme de barbarie

La barbarie prend bien des formes. Présents dans les conflits armés, les journalistes peuvent aussi en être victimes sur le web. Le 29 juillet dernier, Rue 89 a publié le portrait d’un hacker franco-israélien, Grégory Chelli, aussi appelé Ulcan. Il avait revendiqué dans les jours précédents l’attaque de plusieurs sites de partis ou d’associations qu’il jugeait trop favorables aux Palestiniens. N’ayant pas aimé ce portrait « Ulcan a décidé de se faire justice lui-même » détaille Pierre Haski, le cofondateur de Rue 89. « Il a commencé par harceler l’auteur de l’article Benoît Le Corre, mais surtout en s’en prenant à ses parents. Il les a d’abord appelés pour leur annoncer que leur fils était mort. Puis 48h après, il a réussi à faire envoyer le GIGN chez eux qui pensait y trouver le père meurtrier de sa femme et de son fils. Quatre jours plus tard, le père de Benoit a fait un infarctus. Il a sombré dans un coma dont il n’est pas ressorti. Le jour de l’annonce du décès, Grégory Chelli a appelé Benoît pour se moquer de lui, puis de nouveau le soir des funérailles et vendredi dernier encore en lui disant que son père était sorti de son cercueil. » Grégory Chelli s’en est aussi pris à Pierre Haski, pour avoir critiqué ses méthodes. Il a fait tomber les sites de Rue89, Libération, Médiapart, Arrêt sur Image et bien d’autres. Cette menace d’un type nouveau intimide au point que certains journalistes signent par des pseudos ou ne signent pas du tout. « En parler ? Ne pas en parler ? Lors de premières attaques nous avions choisi de faire profil bas, pour ne pas rentrer dans son jeu. Cela ne l’a pas empêché de se lancer dans cette escalade de la vengeance. On se tait, on perd. On parle, on perd. » Pierre Haski renchérit « les signes d’autocensure et de prudence que je constate sur cette affaire sont autant de signes inquiétants. C’est une véritable menace sur la liberté de la presse qui est à l’œuvre. »

La barbarie prend des formes multiples. Elle évolue au fil des années, touche tous les endroits du monde. Une chose est sure : elle complique la prise d’information et fait reculer la liberté de la presse. Il faut y faire face avant de ne plus pouvoir revenir en arrière et de tous en subir les conséquences.

Comment continuer à informer dans ce contexte ? Quelle position faut-il adopter face aux journalistes freelance qui prennent beaucoup de risques souvent sans aucune protection ?

Albéric De Gouville, rédacteur en chef à France 24 après plus de 25 ans passés à RFI, répond à ces questions.

Manon David

Plus d’articles sur http://assisesdujournalisme2014.wordpress.com/