« Le numérique est un bain de jouvence »

Le 29 octobre dernier, Edwy Plenel, co-fondateur de Mediapart, donnait une conférence sur son dernier ouvrage « Pour les musulmans » à la librairie Masséna à Nice. À cette occasion, Buzzles est parti à sa rencontre pour en savoir davantage sur sa vision du numérique.

Edwy Plenel lors de la séance de dédicace pour son nouveau livre. Crédit photo : Grégoire Bosc-Bierne

Edwy Plenel lors de la séance de dédicace pour son nouveau livre. (Crédit photo : Grégoire Bosc-Bierne)

Vous avez franchi le cap des 100 000 abonnés à Mediapart en septembre. Quelles sont les clés de cette belle réussite ? Qu’est-ce qui distingue Mediapart des autres sites d’information en ligne ?

C’est d’abord de faire vraiment du journalisme, c’est-à-dire défendre au cœur de la modernité numérique l’essentiel de notre travail, fournir des informations d’intérêt public au citoyen pour qu’il soit libre et autonome. Notre ligne directrice, c’est d’abord apporter des informations inédites, une plus-value, une originalité, soit par l’enquête, soit par le reportage, soit par l’analyse. Tout ça, c’est la première raison. La deuxième raison, c’est d’avoir fait le pari qu’il n’y avait aucune raison pour que l’univers du numérique ne soit pas aussi le lieu de la construction d’un public, de gens qui se disent “c’est mon journal”, qui vont surfer par ailleurs mais qui deviennent fidèle à ce journal. Donc le choix du modèle économique et en même temps participatif de Mediapart, c’est-à-dire que notre seule recette soit issue des abonnements de nos lecteurs, et qu’en même temps nos lecteurs soient des acteurs qui

peuvent contribuer et participer, a permis l’identification de Mediapart comme un lieu sans pareil dans l’univers du web. Donc d’une part faire du journalisme et d’autre part avoir utilisé ce qui est au cœur du numérique, c’est-à-dire la participation, l’horizontalité, la construction d’une communauté.

Le journaliste répond à nos question avec passion. Crédit photo : Grégoire Bosc-Bierne

Le journaliste répond à nos questions avec passion. (Crédit photo : Grégoire Bosc-Bierne)

Le souci de pérennité de Mediapart vous oblige-t-il chaque jour à vous demander comment le journal pourrait évoluer, comment faire en sorte qu’il ne s’essouffle pas ?

Le numérique est un univers d’invention. En permanence, on peut inventer et on est allé dans ce sens en inventant les portfolios, en faisant de plus en plus de vidéo, en donnant de la place à de nouveaux contenus, en étendant notre champ. Ça c’est le propre d’un journal : jamais de repos. Dans le numérique c’est plus facile d’évoluer que sur le papier. Mediapart fait des profits depuis quatre ans et ça nous permet de faire face aux épreuves fiscales qu’on nous a imposées ; nous avons de quoi construire notre indépendance. Je pense que la presse numérique est dans l’invention permanente, d’autant plus qu’elle prend le risque d’être complétée, critiquée, discutée par ses lecteurs qui vont du coup dire: “Mais pourquoi ne faites-vous pas ça? Pourquoi n’êtes-vous pas là?”. C’est un aiguillon permanent, et pour moi, de ce point de vue, c’est un bain de jouvence, c’est une jeunesse. On ne se repose pas sur ses lauriers.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le développement de la presse numérique ?

Il y a deux types de presse numérique: il y a la presse issue de la presse papier, qui a souvent un problème qui est la gestion de l’ancienne industrie qui pèse sur ses contenus et qui fait qu’elle n’est pas toujours assez inventive en termes de contenu numérique. Et puis il y a ce qu’on appelle les pure players. Chez ceux-ci je regrette le manque de pluralisme. Il faut qu’il y ait d’autres Mediapart qui se créent, qui inventent. Il ne faut pas que nous soyons une exception, il faut suivre notre exemple. Voilà ce que j’attends. Pour l’instant, j’ai l’impression que nous n’avons pas d’équivalent. Notre concurrence, pour moi, c’est Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Point, L’Express et L’Obs. C’est la presse de toujours. Dans l’univers propre du numérique, nous n’avons pas de concurrence.

Vos conseils pour des apprentis journalistes ?

Vous savez, je n’ai pas fait d’école de journalisme, j’ai appris sur le tas. Je pense que pour être journaliste, il faut avoir d’autres centres d’intérêt que le journalisme, c’est-à-dire qu’il faut se cultiver sur les sociétés, se cultiver par la sociologie, par l’histoire. C’est très important parce qu’être journaliste, c’est traiter des événements qui ont quelque chose derrière, qui ont des causes, des conséquences, un contexte. Il faut toujours apprendre. Et le mérite du journalisme, ou plutôt sa chance, c’est que vous êtes dans l’autodidactie permanente, vous n’êtes pas comme des énarques qui se disent un jour qu’en ayant eu un diplôme ils savent tout. Vous êtes obligés en permanence d’apprendre. Mon deuxième conseil, c’est qu’il faut cultiver deux qualités que vous n’apprendrez jamais à l’école : la première, c’est la curiosité, il faut toujours chercher à savoir et à comprendre. Mais il y a des curiosités un peu inquisitoriales, dérangeantes, qui ne vont pas créer de lien et de confiance, et donc l’autre qualité est la générosité. Il faut avoir la curiosité généreuse, celle qui va faire que quelqu’un se dise “celui-là il me comprend, je peux lui parler”. Votre premier métier, c’est de trouver des informations, et donc trouver des informations c’est créer de la confiance.

Propos recueillis par

Grégoire Bosc-Bierne et Antonin Deslandes