Vice se lance un nouveau défi en France

Depuis un mois et demi, Vice a débarqué à la télé, sur France 4 avec un programme nommé «le point quotidien ». Parallèlement, l’insolent magazine s’est mué en quotidien en lançant « Vice News ». Un pari risqué mais logique tant son influence augmente aujourd’hui.

Un tour de l’actualité internationale, c’est ce que propose chaque jour le point quotidien. (Crédit: Libération)

Un tour de l’actualité internationale, c’est ce que propose chaque jour le point quotidien. (Crédit: Libération)

Il est 20h35 sur France 4. Des images de guerre et de manifestations sur un générique rock retentissent. Vous y êtes ! 13 minutes d’émission pour un tour de l’actualité internationale avec un reportage en immersion à la clé. Comme dans le Tarn, avec les opposants au barrage de Sivens. Fidèle à lui même, le magazine reste tourné vers l’actualité internationale. Il s’adresse à la francophonie, plutôt qu’à l’hexagone uniquement. Vice a également convergé vers un modèle de « hard news » sur un nouveau site web, afin « d’éviter la confusion des genres » selon Étienne Rouillon, son rédacteur en chef. Sur les cinq à sept articles proposés par Vice News chaque jour, la moitié est piochée dans les 35 agences (pour autant de pays) de Vice dans le monde. Les contenus sont ensuite traduits. La rédaction française à Paris qui compte quatre journalistes permanents ainsi que de nombreux pigistes apporte, évidemment, sa pierre à l’édifice.

En prenant un virage audiovisuel, en « access prime time », sur une chaîne du service public, Vice s’exposait à un risque – duquel aurait pu découler l’incompréhension de ses lecteurs. Celui de devoir polir sa ligne éditoriale dite insolente et choc. Il n’en est rien. Le « média gonzo » tel qu’il fut créé par Shane Smith, reste fidèle à sa marque de fabrique. Celle de partir de phénomènes ou de personnages locaux pour expliquer un contexte parfois général, parfois spécifique, mais néanmoins compréhensible par tous.

France 4, qui se veut résolument innovante et proche de la jeunesse était taillée pour accueillir le format télévisuel. Malgré cela, les téléspectateurs ne se bousculent pas pour regarder l’émission. Entre le 20 octobre et le 20 novembre, « Le point quotidien a enregistré une moyenne de 82 000 téléspectateurs par soir. Ce qui équivaut à 0,3 % de part d’audience. C’est très peu » commente Adeline Menager, attachée de presse au sein de Mediamétrie. Si le programme connaît un départ poussif, voire médiocre, cela est dû à son horaire de diffusion : « une tranche horaire très concurrentielle » analyse-t-elle. De plus, il est certain que France 4 pèse peu face à la puissance des chaînes classiques (TF1, France 2) mais aussi face à l’attractivité des chaînes de la TNT (NRJ12, W9). Pour le mois d’octobre, France 4 enregistrait une audience moyenne de 1,5 % contre 10,4 % pour M6 ou encore 3,5 % pour D8, une chaine du groupe Canal+. Il faut toutefois relativiser ces chiffres car « l’émission n’est installée que depuis 1 mois et les audiences peuvent toujours augmenter par la suite » tempère l’attachée de presse. Mais il est peu probable que « le point quotidien » batte des records.

Des forces vives

Vice est un site multimédia qui favorise le reportage en immersion, au cœur de l’événement. Profitant d’un réseau pléthorique de journalistes à travers le monde, il réussit la prouesse de s’inviter dans des endroits d’ordinaire fermés à la presse. Comme en Irak au sein du groupe État Islamique ou encore à la table du dictateur Kim Jong Il en Corée du Nord. Effet coup de poing garanti ! En fonctionnant de la sorte, Vice s’attire les foudres de certains frileux. On a ainsi pu reprocher au média d’avoir fait l’apologie de l’EI et du régime Nord Coréen. Qu’il en soit ainsi. Vice prêchera aux convertis.

Le média s’appuie également sur ses titres. Souvent chocs. Les sujets qui s’y rapportent contiennent pourtant de réelles informations. La proximité (beaucoup d’interviews), la manière d’aborder un sujet en partant de situations précises, formelles et parfois communes, parlent aux gens. En particulier aux jeunes puisque la tranche des 18 – 35 ans constitue le public visé. Chez Vice France, la majorité des 50 employés a moins de 30 ans. Si les journalistes se montrent dans les reportages audiovisuels, cela tient à une mise en scène parfaitement assumée. « Les spectateurs n’ont pas besoin d’un gars avec un blouson et micro, qui vient leur dire quoi penser. Surtout si c’est un homme blanc d’âge moyen » confiait au Monde le journaliste Britannique Kevin Sutcliffe.

Une place prépondérante est laissée aux images. Pendant les reportages, la caméra tourne presque à plein régime. La diffusion suit ce principe. Par exemple: les trajets d’un point à l’autre (qui ne sont pas filmés ou pas diffusés dans la plupart des médias) lors d’un reportage, donnent l’impression d’être embarqués avec les équipes de tournage. Immersion totale. Aujourd’hui Vice favorise le reportage tourné vers l’international, là ou la plupart des médias le délaissent par manque de moyens. Une sorte de monopole, lié au fait que le groupe Vice est capable de lever d’importants capitaux. Cette année, en une semaine, la société a su attirer quelque 500 millions de dollars de fonds.

Le monde a du Vice 

Shane Smith, un des fondateurs de Vice, a encore de grandes ambitions pour son média. Crédit Photo : D.R.

Shane Smith, un des fondateurs de Vice, a encore de grandes ambitions pour son média. Crédit Photo : D.R.

Pourtant, au départ, rien ne laissait présager un tel succès. Au contraire, avec le recul, le projet aurait pu être un bide. En 1994, à Montréal, trois Canadiens, Suroosh Alvi, Shane Smith et Gavin McInnes, se lancent un défi un peu fou. Sans véritable expérience médiatique, ils décident de créer un magazine trash gratuit. « Voice of Montréal” était né. L’ancêtre du magazine que l’on connaît aujourd’hui devient peu de temps après “Vice” notamment pour des raisons de droits d’auteurs. Très vite, Internet est envahi. Au total, ce sont neuf sites spécialisés qui complètent l’arborescence Vice. De la nourriture, aux nouvelles technologies en passant par la musique ou les sports de combat. Seuls les thèmes changent, la marque de fabrique reste la même.

Mais l’expansion n’est pas finie. En s’attaquant à la télévision, Vice cherche à se diversifier mais aussi à gagner en influence. Et ce n’est pas l’ambition qui manque à Shane Smith. Il a pour projet de faire de Vice, ni plus ni moins que le nouveau CNN ou ESPN qui sont parmi les plus grands networks américains. « Quand nous avons compris que l’argent n’était pas le plus important et qu’il était possible de poser son empreinte sur la culture mondiale, alors nous nous sommes arrêtés de tâtonner à droite et à gauche pour se faire de l’argent et nous avons foncé », résume-t-il lors d’une interview accordée à The Guardian en 2013. Le moins que l’on puisse dire c’est que rien ne les arrête. Être présent dans 35 pays ne suffit plus et Vice lorgne déjà de nouveaux territoires. L’Allemagne, l’Espagne, le Mexique, l’Australie ou encore le Brésil seraient notamment évoqués. Bref, l’empire du Vice n’a pas fini de grandir.

Erwan Schiex

Lucas Vola