« La mobilisation collective peut donner des résultats ! » (2/2)

Quels enseignements peut-on tirer de cette grève historique ? Quelle est la situation sociale et politique du Québec, près de trois ans après l’insurrection populaire initiée par la jeunesse ? Gabriel Nadeau-Dubois, ancien co-porte-parole de la CLASSE (1), a vécu la crise en coulisses et sous les projecteurs. Il nous livre sa lecture du mouvement et ses pistes de réponse.

Gabriel Nadeau-Dubois, ici lors d’une conférence de presse pendant la crise de 2012, est vite devenu un habitué des médias. (Crédit Photo : Clément Allard/The Canadian Press)

Gabriel Nadeau-Dubois, ici lors d’une conférence de presse pendant la crise de 2012, est vite devenu un habitué des médias. (Crédit Photo : Clément Allard/The Canadian Press)

L’éducation, un bien commun

« Le rôle historique de la jeunesse est de contester. » (2) C’est la profonde conviction de ce jeune homme de 24 ans, étudiant en maîtrise de sociologie à l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Gabriel Nadeau-Dubois a été à la tête des manifestations auxquelles des centaines de milliers de personnes ont participé au plus fort de la contestation en 2012. Il a pris la parole dans les médias et dans les campus. En défendant l’accessibilité universitaire, la gratuité scolaire et en dénonçant la marchandisation de l’éducation et les dérives des politiques néolibérales, il ne s’est pas fait que des alliés. « Dire que le coût de la vie augmente, et donc que les frais de scolarité devraient augmenter, c’est littéralement mettre l’éducation sur un pied d’égalité avec les produits de consommation. L’éducation est une institution sociale, collective, qui contribue au bien commun, ce n’est pas une pinte [brique] de lait », a-t-il réaffirmé après le conflit. Le jeune homme n’affirme pas avoir été un « leader étudiant », mais un porte-parole de cette jeunesse québécoise révoltée qui se positionnait en assemblée générale. Sa mission a été « particulièrement compliquée. Le monde médiatique a eu beaucoup de difficulté à accepter que je n’étais pas le chef de la mobilisation, mais seulement son porte-parole ».

«L’une des grandes révélations de cette grève, c’est le haut niveau de politisation de la jeunesse québécoise»

« La lutte contre la hausse des frais de scolarité était intrinsèquement profitable au bien commun. L’accessibilité à l’éducation est en soi une valeur universelle, pas une revendication corporatiste. » Dans le contexte québécois cette grève avait également « une dimension culturelle, voire existentielle. Le maintien de bas frais de scolarité est au cœur du modèle québécois de solidarité sociale, qui distingue le Québec du reste de l’Amérique du Nord. La force symbolique de cette mesure explique en partie la force de la réaction populaire ». À défaut de faire un pas vers une plus grande accessibilité universitaire, « la grève a permis d’éviter un recul important. La situation est aujourd’hui significativement meilleure que si la hausse libérale avait été mise ne place. Elle a aussi apporté une bonification importante de l’aide financière aux études ».

Manifestation nationale du 22 juin 2012, à Montréal. (Crédit Photo : André Pichette)

Manifestation nationale du 22 juin 2012, à Montréal. (Crédit Photo : André Pichette)

Gabriel Nadeau-Dubois trace un parallèle entre la démocratie directe expérimentée par les étudiants en assemblée générale, qui a « apporté des débats de haute qualité », et « les batailles partisanes des politiciens à l’Assemblée nationale. […] L’une des grandes révélations de cette grève est le haut niveau de politisation de la jeunesse québécoise », s’enthousiasme le jeune essayiste. « Cela contredit l’idée dominante selon laquelle il n’y aurait que les représentants politiques qui seraient capables de débattre de manière « civilisée ». » Gabriel Nadeau-Dubois pense que sa génération est consciente des limites de la stratégie purement électorale, mais insiste sur le caractère complémentaire entre celle des urnes et celle de la rue : « Le défi est de savoir les articuler intelligemment l’une à l’autre. »

« La mobilisation n’était pas révolutionnaire »

Quand on lui demande si le Québec n’est pas de retour à la case départ après les derniers résultats électoraux, si la poussière n’est pas retombée après la révolte de la jeunesse, Gabriel Nadeau-Dubois, patient, répond par une lecture plus complexe et tempérée: « Les sociétés sont lentes à changer. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’elles changent en profondeur à la suite d’une seule mobilisation. Les effets des mouvements sociaux ne peuvent être appréciés qu’avec un important recul historique. Gardons-nous de dresser des bilans précipités. »

D’après lui, « les excès d’enthousiasme sont dangereux pour les mouvements. Il y a eu, et c’est une bonne chose, un élargissement du discours à des considérations politiques plus générales. Et il est vrai que la marchandisation de l’éducation est l’une des conséquences de la radicalisation de l’agenda néolibéral ». Mais le jeune homme croit qu’il faut « évaluer une mobilisation pour ce qu’elle est, pas pour ce qu’on voudrait qu’elle soit. Un appui plus important des organisations syndicales n’aurait pas nui à un élargissement de la lutte, mais il faut rester réaliste : la mobilisation de 2012 n’était pas révolutionnaire. Je ne vois pas nécessairement cela comme un problème. Chaque mouvement social a son propre rôle ».

Gabriel Nadeau-Dubois (ici au centre) : « J'ai eu la chance de profiter d'une formation universitaire riche, critique et diversifiée. Je crois que cela est un grand avantage. Je cherche à mieux comprendre le monde dans lequel je vis. » (Crédit Photo : D.R.)

Gabriel Nadeau-Dubois (ici au centre) : « J’ai eu la chance de profiter d’une formation universitaire riche, critique et diversifiée. Je crois que cela est un grand avantage. Je cherche à mieux comprendre le monde dans lequel je vis. » (Crédit Photo : D.R.)

Un nouveau mouvement en gestation ?

Pour l’ancien porte-parole, le combat pour l’éducation n’est pas fini malgré les premières victoires du mouvement en 2012. Face aux mesures d’austérité du gouvernement libéral de Philippe Couillard, il se montre prudent. Fin octobre, la plus importante manifestation depuis 2012 a eu lieu à Montréal pour dénoncer les coupures budgétaires dans les services publics. « La mobilisation se met progressivement en branle, ce qui est une bonne chose. » Un nouveau mouvement de grève sur la durée est-il envisageable à court terme ? « N’oublions pas que 2012 est le fruit d’une très progressive escalade des moyens de pression. Il faut laisser le temps au mouvement de prendre forme et de s’organiser. Pour qu’une telle mobilisation voie le jour, il faudra que le mouvement étudiant construise des alliances solides avec les autres organisations sociales, en priorité le mouvement syndical. Il y a du pain sur la planche! »

Depuis la crise de 2008, le néolibéralisme est « entré dans une phase plus agressive que jamais. Les politiques d’austérité sont appliquées partout, accompagnées d’une augmentation de la répression policière ». La seule réponse à « cette arrogance de l’élite » ? Un retour en force de la combativité au sein des mouvements sociaux, en priorité au sein du mouvement syndical, espère Gabriel Nadeau-Dubois.

« Nos institutions ne sont ni éternelles ni intouchables »

L’ancien co-porte-parole de la CLASSE veut devenir enseignant pour faire comprendre aux jeunes que « les institutions qui régissent notre société ne sont ni éternelles ni intouchables. Elles sont le fruit de l’histoire, elles ont été élaborées par l’humain… ce qui veut dire qu’elles peuvent être transformées par lui ! Le discours dominant nous parle sans cesse « d’adaptation », comme si la réalité économique et politique était une donnée extérieure à nous, à laquelle il faudrait se soumettre passivement. Le grand enseignement des sciences sociales est de nous faire réaliser que les choses peuvent être autrement que ce qu’elles sont. »

Récipiendaire du prix littéraire du Gouverneur général en 2014 pour son essai Tenir tête, Gabriel Nadeau-Dubois a offert la bourse de 25 000 dollars qui accompagnait ce prix pour lutter contre le projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada. Tenir tête et proposer un autre Québec pour demain, c’est tout le sens du combat idéologique de ce jeune québécois.

1 Coalition Large de l’Association pour une Solidarité Syndicale et Étudiante. C’est la plus importante association étudiante au Québec, elle revendique 70 000 membres et défend des idées progressistes. Elle a la particularité de privilégier la démocratie directe et de ne pas avoir de président.
2 Le souffle de la jeunesse (2012), Écosociété.

Nicolas Richen