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[FIPA] Pourquoi Pekka ? Pourquoi ?
Entrer dans la tête d’un school shooter, comprendre ce qui a conduit le jeune Pekka Eric Auvinen à tuer 7 de ses camarades et la directrice de son lycée le 7 novembre 2007 avant de se suicider : c’est le pari d’Alexander Oey, réalisateur du documentaire Pekka.
Usant de témoignages rares de protagonistes : du camarade de classe aux parents en passant par les vendeurs de l’arme à feu utilisé par le lycéen, voici un documentaire cherchant à répondre à une question « Pourquoi ? ». Critiques divergentes de deux rédacteurs.
Expliquer l’inexplicable : un défi inachevé
Lenteur, enchainement d’images, de témoignages et une voix off qui brille par son absence. Tout comme l’attention de ma voisine d’un soir. Dans la salle, le silence est de plomb durant le film. Pourquoi ? Voilà la question à laquelle Alexander Oey a tenté de répondre avec Pekka, et son accroche : inside the mind of a school shooter. Séduisant au premier abord.
Toutefois, les témoignages sont contradictoires. Autisme, dépression, solitude, vengeance… Tant d’hypothèses se bousculent sans aucune réponse. Le film ne connait pas de fin, laissant planer le doute, les questionnements. Sans offrir de réponse au questionnement, le film s’arrête brutalement après un extrait des vidéos de Pekka prônant la violence et la loi du plus fort, le générique de fin défile sur un concours de pêche. Paradoxal, une nouvelle fois. La démarche se distingue sans doute, et c’est au spectateur de réfléchir. Mais il n’y a pas de véritable piste offerte à l’analyse dans Pekka, uniquement des mises en garde contre la violence scolaire et l’ignorance des autres.
Un léger malaise plane. « C’était un fou, c’est tout. Pas la peine de chercher plus loin. » Le message d’Oey n’est donc pas parvenu à tous. Le film tente de reconstituer un puzzle qui ne parvient pas à présenter une parfaite explication de ce qui se passe inside the mind of a school shooter. Expliquer l’inexplicable était pourtant le défi d’Alexander Oey avec Pekka, et si le résultat est bon, bien réalisé et bien documenté, il n’en reste pas moins inachevé. Mais aurait-il pu l’être ? Est-il réellement possible d’entrer dans la tête d’un déséquilibré ? Rien n’est moins sûr.
Sophie Lafranche
Des choix contestables mais assumés
La sobriété, c’est sans doute la force du reportage d’Alexander Oey. Jusque dans son titre. Pekka, pas même un nom, la moitié d’un nom.
Dès le début de la projection, un chuchotement dans la salle : « C’est marrant, j’ai toujours l’impression qu’on s’emmerde dans ces pays, qu’il ne se passe jamais rien ». Derrière la boutade, une réflexion qui transparaît de bout en bout : un gamin presque sans histoire, dans une bourgade de Jokela presque comme les autres. Pas de charge retenu contre le système scolaire finlandais (réputé le meilleur au monde) pourtant défaillant sur ce cas.
La comparaison avec le Bowling for Columbine de Michael Moore est inévitable. Sujet commun, mais acteurs opposés. Moore enquête, empile, démontre, charge. Oey adopte un style plus contemplatif : pas de voix off, des interviews fil rouge sur des plans de nature immaculés. Même le questionnement central (comment et surtout pourquoi?) n’est pas imposé, c’est le spectateur qui s’interroge au fil de ces témoignages contradictoires.
Au fond, Pekka ne rend pas hommage aux victimes, il est presque dédié à Pekka-Eric Auvinen. À charge contre une société de l’indifférence, qui isole les particularités et mène parfois à la folie. L’absence de commentaire est un silence assourdissant. Une solitude vertigineuse, comme celle qui mène un adolescent presque comme les autres à la folie meurtrière et à l’autodestruction.
Loïc Masson