Daesh, la machine de guerre médiatique

L’organisation Etat Islamique s’illustre par la mise en place d’un jihad numérique d’un genre nouveau. Des réalisations très “hollywoodiennes”, des vidéos d’exécution, une véritable plate-forme de presse propagandiste : Daesh a su mettre à sa disposition une sphère médiatique hors-normes.

Soigner sa communication et diffuser la terreur à travers le numérique. Voilà le principal cheval de bataille de l’Etat Islamique. L’organisation a profité des possibles du début de ce XXIe siècle et s’est appliquée à renouveler les méthodes d’Al-Qaida, au service de ce que les médias appellent désormais le “jihad 2.0”. « Les deux groupes ne sont pas de la même génération, l’Etat Islamique est né au moment où le développement numérique a fait un bond » confiait à Buzzles Olivier Hanne, auteur de L’Etat Islamique, anatomie du nouveau Califat, et spécialiste de l’histoire de l’islam. En effet, le groupe a grandi avec les réseaux sociaux, et a fait d’Internet son terrain de jeu. De fait, l’organisation puise sa force dans un recrutement sans frontière, et se démarquait déjà du front Al-Nosra, la branche d’Al-Qaida en Syrie, lorsque les deux nébuleuses se battaient ensemble contre le régime de Damas. Mais depuis l’étatisation de Daesh, son calife Abu Bakr al-Baghdadi a entrepris de donner une véritable impulsion à la communication de son organisation. Le principal organe de presse, Al-Hayat, diffuse différents titres comme Dabiq ou Dar al-Islam, magazine en français qui paraît depuis décembre dernier. Face à l’outil de propagande, qui plus est relayé en masse par les réseaux sociaux, la coalition des pays occidentaux a entamé une « cyberguerre » contre l’EI. Sans grand succès pour le moment, même si Olivier Hanne estime que la surveillance est en progrès depuis quelques mois : « Désormais, il est beaucoup plus compliqué de visualiser les vidéos de propagande de l’EI. Elles sont très rapidement supprimées. » Mais il est impossible de fermer tous les comptes twitter et les sites qui pullulent chaque semaine, d’autant plus que l’organisation est habituée à subir cette « cyberguerre ». Selon le chercheur, cette dernière encadre même ses combattants qui s’exposent parfois trop sur la toile.

Une prise de vue en slow-motion extraite du documentaire « Flames of War » (Crédits photo : dailymail.co.uk)

 Le visuel au premier rang

Dans son champ médiatique, Daesh a choisi de porter la puissance de l’image à son paroxysme. En dehors des tristement célèbres vidéos d’exécution, le principal diffuseur de l’EI, Al-Furqan Media, produit régulièrement des vidéos de propagande d’un esthétisme encore jamais égalé au sein de la sphère jihadiste. « Ces vidéos ont un usage militaire. Elles donnent une illusion de puissance, elles veulent donner l’impression que l’organisation peut frapper dans n’importe quel pays de la coalition » nous explique David Thomson, journaliste à RFI et auteur du livre Les Français jihadistes. Ces images ont aussi pour but de séduire les potentiels candidats au jihad en mettant en exergue la modernité de Daesh grâce à une réalisation quasi-parfaite. « Ce sont des vidéos très bien faites, avec un matériel télévisuel professionnel » ajoute David Thomson. Car si les images sur le champ de bataille sont très souvent tournées à l’aide d’une GoPro, les autres vidéos de propagande sont probablement réalisées et montées par « une équipe professionnelle d’une vingtaine de personnes » selon les dires d’Olivier Hanne, comme ce fut le cas pour Flames of War, un documentaire d’une heure paru sur Al-Furqan, ou pour la vidéo de l’exécution du pilote jordanien début février. Selon le chercheur, l’organisation n’a pas uniquement profité de la prise de Mossoul en juin 2014 pour faire le plein d’armes et piller les banques. Les jihadistes devraient également s’être procuré plusieurs grosses caméras ayant permis la réalisation des vidéos mises en ligne depuis. Aujourd’hui, toutes ces opérations visuelles sont coordonnées par Rafiq Abu-Moussab, sorte de gourou du paysage médiatique de Daesh. C’est notamment lui qui avait fait autoriser le reportage de Vice News au sein même du Califat sûrement conscient de la terreur que les images allaient colporter à travers le monde. Aujourd’hui, l’EI maîtrise son sujet à la perfection et continue de mener sa communication de la peur, sans pour autant rentrer dans une « cyberguerre » qu’il n’aurait aucune chance de remporter selon Olivier Hanne : « L’organisation ne posséderait qu’un hacker de niveau international, ce qui est bien trop peu pour inquiéter les pays occidentaux. »

Antonin Deslandes