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Yémen : l’« Arabie heureuse » n’a jamais aussi mal porté son nom
Gaz naturel, pétrole, or, zinc, les sols yéménites recèlent d’importantes ressources naturelles. Le pays produit 300 000 barils de pétrole brut par jour et 6.7 millions de tonnes de gaz naturel par an. Malgré cela, 45% de la population vit actuellement en-dessous du seuil de pauvreté, conséquence de plusieurs décennies de pouvoirs politiques corrompus et de conflits religieux.

Le Yémen est un pays arabe situé à la pointe sud-ouest de la péninsule arabique. (crédit carte : far-maroc.forumpro.fr)
Un pouvoir politique instable
Le Yémen se réunifie en 1990 : territoires du Sud et du Nord fusionnent officiellement le 22 mai. Ali Abdallah Saleh, qui dirigeait le Nord devient président du Yémen. La même année, une nouvelle Constitution est signée. Système politique multipartiste, élections libres, et égalité devant la loi en sont les principaux objectifs. Mais très vite, les relations entre Ali Abdallah Saleh et son vice président, Ali Salim al Beidh se détériorent. Ce dernier est également secrétaire général du parti socialiste, très implanté dans le Sud. Début 1994, il reproche au président et à son entourage d’avoir commandité des attentats ayant coûté la vie à 150 cadres de son parti. Les dirigeants sud yéménites proclament ainsi la création de la République démocratique du Yémen, correspondant au territoire de l’ancien Yémen du Sud, mais qui n’est pas reconnu par la communauté internationale. Le Sud du pays se dresse alors face au Nord. La guerre civile éclate en mai 1994 et se conclut en juillet, avec la victoire du Nord et l’exil de nombreux membres du parti socialiste yéménite et d’autres sécessionnistes sudistes. Cette victoire marque la réunification finale du pays. Le bilan est particulièrement lourd tant sur le plan humain – entre 7000 et 10000 morts – que sur le plan matériel puisque le pays doit faire face à de nombreuses reconstructions. N’ayant duré que trois mois, cette guerre civile marque également un tournant dans la manière de gouverner de Saleh.
Des pratiques anti-démocratiques sont dès lors observées. Le gouvernement emprisonne des journalistes, interdit des quotidiens et repousse à plusieurs reprises les élections législatives. Dans ces conditions, personne ne peut concurrencer le parti au pouvoir. Lors de l’élection présidentielle de 1999, Ali Abdallah Saleh ne fait face qu’à un seul adversaire, présenté comme indépendant alors que ce dernier est membre du même parti que le président. Un des nombreux exemples qui illustrent les dérives du président Saleh à la tête du pays.
Le chemin vers la révolution
Après avoir annoncé qu’il ne se représenterait pas lors des élections présidentielles de 1999 et 2006, le président Saleh revient à deux reprises sur sa décision et décide de rester au pouvoir. Un manque de démocratie qui s’ajoute à de nombreuses affaires de corruption qui précarisent le pays d’année en année. A la tête du Yémen depuis 1978 – date à laquelle il s’empare du pouvoir dans le Nord – le président Saleh a méticuleusement placé des membres de sa famille dans le gouvernement ou à des postes à haute responsabilité. Un demi-frère dirige la première division de l’armée de terre, en charge de la partie nord-ouest du pays, un neveu patron de la sécurité centrale et à la tête d’un groupe ayant des intérêts dans le pétrole et l’électricité, mais également un fils destiné à s’emparer du trône de son père… C’est cette transmission héréditaire que refuse tout un pays, et c’est dans un contexte politique changé par les printemps arabes que le Yémen se soulève en 2011.

Révolution du peuple yéménite pour la démission du président Saleh à Sanaa, la capitale. (Crédit photo : D.R.)
La contestation part de l’université de Sanaa en janvier. Hommes, femmes, étudiants, chiites, sunnites, et socialistes réclament la démocratie et la fin de la mainmise du Congrès général du peuple (le parti au pouvoir). Un processus qui passe par le départ du président Saleh. Mais le président ne se soumet pas à la volonté des opposants et promet des concessions pour gagner du temps. Début février 2011, il affirme qu’il ne tentera pas de briguer un nouveau mandat présidentiel en 2013. Il limoge en mars son gouvernement et propose un référendum constitutionnel, des élections législatives et présidentielles et son départ avant fin 2011. Pendant ce temps, les opposants sont de plus en plus nombreux et les manifestations grandissent. Certaines se finissent en bain de sang comme celle du 18 mars, faisant 52 morts. L’état d’urgence est alors décrété et d’importants soutiens du régime, comme les généraux de l’armée, rallient la contestation. De son côté, le président Saleh soudoie des « contre-manifestants » pour une somme de 160 euros par jour, soit plus que le salaire mensuel moyen du pays. De quoi paralyser un peu plus l’économie yéménite puisque les réserves de devises baissent de cinq milliards de dollars. Le Conseil de coopération du Golfe (1) occupe alors le rôle de médiateur et propose le départ du président Saleh avec la garantie de ne pas être poursuivi en justice. Le 2 juin, le palais présidentiel est bombardé et le président Saleh n’a d’autre choix que de quitter le Yémen pour se faire soigner en Arabie Saoudite. A son retour, le plan du Conseil de coopération du golfe est ratifié. L’ex-vice président Rabbo Mansour Hadi est le seul à se présenter aux élections anticipées, et se retrouve logiquement à la tête du pays pour un mandat intérimaire de deux ans. Un mandat durant lequel Hadi est chargé de redresser un pays touché par la misère.
Une transition politique qui accentue les conflits religieux
La tentative de redressement du pays du président Hadi va rapidement tourner au désastre. Deux ans après son élection, ce dernier est déjà contraint de démissionner. En janvier 2015, des miliciens houthistes pénètrent dans le palais présidentiel à Sanaa et font prisonnier le président yéménite. Ulcéré, ce dernier quitte son poste le 23 janvier, une date qui symbolise le triomphe des nouveaux acteurs politiques majeurs du pays, les houthistes du parti « Ansarallah ».
Pour comprendre ce nouveau chamboulement, un retour dans l’histoire du pays s’impose. Le Yémen est un pays à majorité sunnite. Mais il existe également une minorité zaydite, branche de l’islam chiite. Très présent dans le gouvernorat de Saada, au Nord-Ouest du pays, les Zaydites se plaignent d’avoir été marginalisés par le gouvernement sur les plans économique, politique et religieux, depuis 1962.
La raison est simple. De 1962 à 1970, une guerre civile éclate dans le pays entre les partisans de la République arabe du Yémen et les royalistes de Mutawakkilite et qui marqueront également le point de départ d’un nouveau conflit religieux au sein du pays. Le gouvernorat de Saada va alors être mis à l’écart des différentes politiques économiques et va petit à petit se marginaliser. De son côté, le gouvernement accuse les opposants zaydites de vouloir rétablir l’imamat, à savoir un système de direction spirituelle et politique.
Le 18 juin 2004, les Zaydites entament leur insurrection contre le gouvernement yéménite, menée par leur leader Hussein al Houthi. Un leader qui donnera par la suite son nom au mouvement des « houthistes ». Les combats vont durer plus d’une décennie, ils s’intensifient lorsque la révolution yéménite éclate. Le départ du président Saleh – qui luttait fermement contre le parti – est une aubaine pour les miliciens. Profitant du contexte d’instabilité politique, les houthistes vont petit à petit s’imposer et gagner du territoire, à tel point qu’ils pénètrent dans la capitale Saana le 21 septembre 2014. Dès lors, les miliciens vont accentuer leur pression sur l’exécutif yéménite qui abdiquera quatre mois plus tard.
La menace Al Qaïda
En 2009, les branches saoudiennes et yéménites d’Al Qaïda fusionnent pour donner naissance à Al-Qaïda dans la péninsule arabique, plus communément appelé AQPA. Créé par Oussama Ben Laden, ce mouvement terroriste est considéré comme l’une des sections les plus dangereuses du groupe terroriste. Le président Saleh avait fait de la lutte contre l’AQPA un de ses objectifs, bénéficiant de l’aide de Washington. Pour preuve, les drones américains auraient frappé à 110 reprises les repères de l’organisation terroriste.
Cependant, le président Saleh n’est aujourd’hui plus au pouvoir. Et ceux qui le détiennent – les miliciens houthistes – sont anti-américains. « Nous sommes dans une situation bizarre où les Houthis, les ennemis de notre ennemi AQPA, ne sont pas du tout nos amis, et vont probablement perturber nos efforts pour renforcer l’armée et les forces de sécurité yéménites », a estimé Daniel Benjamin, chercheur au Dartmouth College, cité par l’AFP. Ceci constituant un véritable frein au processus d’éradication de l’AQPA. En témoigne l’interruption temporaire, ou non, des opérations anti-terroristes, à l’instar des frappes de drone ordonnées par la Maison Blanche.
Pendant ce temps, l’organisation terroriste ne cesse de frapper le Yémen et a d’ailleurs revendiqué dernièrement les attentats parisiens des frères Kouachi contre Charlie Hebdo.
Une épine de plus donc, dans le pied d’un pays qui ne s’est toujours pas redressé malgré les révolutions et les changements politiques. Aujourd’hui au Yémen, 35% des habitants seraient sans emploi, selon une estimation du Programme de développement des Nations Unies au Yémen. La moitié du pays, soit 14 millions de personnes, a besoin d’une aide humanitaire. Mais pourtant les organismes des Nations Unies et les ONG partenaires n’ont reçu que la moitié des 706 millions de dollars nécessaires aux besoins humanitaires en 2013. « L’Arabie heureuse », surnom historique du Yémen datant de l’époque antique, semble plus que jamais en inadéquation avec la réalité actuelle du pays.
Sacha Zylinski
(1) = Le Conseil de coopération du Golfe regroupe l’Arabie Saoudite, l’Oman, le Koweït, le Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et le Qatar.