« Aujourd’hui, on n’a pas le droit d’être juif en France »

Suite aux récents événements qui ont secoué la communauté juive, Buzzles est parti à la rencontre de Gérard Bavard, président de la synagogue de Cannes. Ce dernier est plus que jamais inquiet de la situation en France et en Europe.

Comment vivez-vous les récents événements au Danemark et en France ? Sentez-vous une menace quotidienne ?

Nous avons le sentiment que la menace est croissante, même si nous sommes habitués. Cela fait longtemps que nous sommes une cible privilégiée, que ce soit pour l’islamisme ou pour l’extrême-droite. Ce qu’il s’est passé au Danemark évoque seulement que ce n’est pas uniquement la France qui est concernée, mais bien toute l’Europe, et que cela risque malheureusement de s’accroître. Il y a eu l’événement de la nuit du 15 février en Alsace. On ne défait pas 300 tombes comme ça, avec des pieds de biche, ils devaient être très nombreux. Il n’y a pas de revendication, pas de slogan, on ne sait pas d’où vient cette profanation. Pour la communauté juive, cela va être considéré comme une alerte supplémentaire : elle n’a plus sa place en Europe. A mon sens, cela serait dramatique, pour les juifs comme pour l’Europe. Parce que nous avons construit l’Europe aussi, cela fait 2000 ans que les juifs sont en Europe et en France en particulier. Nous avons contribué à ce qu’est devenue l’Europe au niveau scientifique, au niveau artistique, au niveau philosophique, et nous nous sommes ancrés dans ce paysage. Moi je suis français et je le revendique, mais j’aimerais avoir le sentiment que j’ai encore ma place en France.

Vos propos font forcément penser à l’appel qu’a lancé Benyamin Netanyahou (le Premier ministre israélien, qui appelle à l’Alya aux juifs de France). Quelle est votre position par rapport au fait qu’il les ait exhortés à venir en Israël ?

C’est un énième appel : à chaque fois qu’il y a un événement grave en France ou ailleurs en Europe, il le renouvelle. Il est dans son rôle car les juifs ont un sentiment particulier envers la Terre Sainte. Même si nous avons la conviction que notre place est ici, c’est quand même inadmissible d’avoir des hommes en armes devant nos synagogues. Bien sûr, je remercie la République, sinon les synagogues seraient désertées et ce serait une grande victoire pour ces groupuscules islamistes. C’est malheureusement nécessaire, nous avons besoin de leur présence pour assurer la sécurité de nos lieux de culte, faute de quoi on ne pourrait plus pratiquer notre religion dans les synagogues. Donc Netanyahou peut dire ce qu’il veut, ce qui m’intéresse c’est le discours politique français. Si les juifs peuvent vivre en sécurité en France, ils resteront en France. Même si aujourd’hui, ce n’est pas complètement le cas. Aujourd’hui, on n’a pas le droit d’être juif en France. Et je comprends parfaitement qu’un père de famille, qui a peur d’emmener ses enfants à l’école, pense à partir. Vous vivriez dans la peur vous ? Dans la peur de vivre vos pensées religieuses ou philosophiques ? Il y a un vrai danger.

Donc la présence militaire ne suffit pas à calmer les craintes ?

Elle est indispensable. Elle va éviter à ces petits fous qui se prennent pour des jihadistes de venir « se faire du juif ». Donc c’est dissuasif. Mais nous ce qu’on attend, c’est de vivre en paix. Nous ne sommes pas des animaux de foire, on ne va pas vivre en cage. Je ne veux pas vivre derrière des murs. Si un jour c’est le cas, alors effectivement je m’en irai. Beaucoup de juifs vont partir, mais pas forcément en Israël. Il y a des pays où les gens peuvent encore vivre en sécurité. C’est un problème sécuritaire avant tout. Si demain mes petits-enfants ne peuvent pas vivre sans risque en France, je ferai comme n’importe quel grand-père, je les mettrai en sécurité.

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Gérard Bavard, accueillant Jean-Yves le Drian à la synagogue de Cannes le 13 février (crédits photo :défense.gouv.fr)

Est-ce que vous pensez que la France est toujours une terre d’accueil ?

Le problème c’est l’intégration, pas la terre d’accueil. C’est la vocation de la France et ça l’a toujours été. Je vois mal la France, dans l’esprit de la République, refuser l’accueil à un homme, une femme ou un enfant qui est maltraité dans son pays d’origine et dans lequel il risque d’être tué s’il y retourne. Mais l’intégration, par contre, c’est autre chose. Mon opinion personnelle, c’est que toutes les vagues d’intégration en France ont toujours été gérées par une philosophie occidentale. Les Polonais, les Italiens, les Espagnols, les Portugais sont judéo-chrétiens. Ils ont la culture des civilisations européennes et ils ont donc accepté les lois de la République, les lois de laïcité. Le problème de l’islam, c’est qu’il ne reconnaît pas les règles et les lois de l’Occident. A partir du moment où on refuse les lois du pays d’accueil, cela ne peut pas coller. Mais là, on parle d’une extrême minorité de musulmans en France. Vous pensez qu’une grande part de musulmans se trouve dans cette situation ?

A-t-on entendu une expression forte des musulmans en France contre les barbares auteurs de l’attaque de Charlie Hebdo ?

Ils se justifient en disant que l’islam pratiqué par les frères Kouachi et par Amedy Coulibaly n’est pas leur religion, que ça ne les concerne pas.Si ça ne les concerne pas, ils doivent être dans la rue. Ils doivent faire comme l’imam de Drancy, que je connais bien, qui est un homme exceptionnel. Lui aussi est protégé. C’est dramatique qu’un imam qui répand une parole de paix soit sous protection policière. Il y a un silence de la communauté musulmane qui, je pense, n’est pas normal. On ne peut pas dire que c’est une minorité. Si c’était une minorité, il y aurait une majorité de musulmans qui s’exprimerait contre ce qui est en train de se passer. Il y a un vaste silence, alors que le combat contre la barbarie doit représenter quelque chose pour eux. Il faut qu’ils puissent s’exprimer librement. Si la peur justifie ce silence, c’est grave. Ça veut dire que le pouvoir n’est pas à la République, il est à l’islam.

La situation de l’Europe est alarmante ?

Ce que les islamistes veulent, c’est mettre l’Europe en guerre civile. En Europe, on met les gens les uns contre les autres, on met des partis extrémistes au pouvoir et tout ceci est une grande victoire pour l’islamisme. La Palestine et les dessins, ce sont des excuses. Un dessin ne peut pas amener à autant de haine. C’est un prétexte, les dessins vont être vite oubliés et on trouvera autre chose. Le meilleur prétexte, c’est quand même le juif. Le juif entraîne rapidement la haine derrière lui, pour des raisons diverses.

Emmanuel Durget

Tom Ferrero

Antonin Deslandes