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« La France a perdu son poids au Moyen-Orient »
Antoine Sfeir, journaliste et directeur des Cahiers de l’Orient, donnait jeudi 12 mars une conférence à Mougins sur l’Islam et sur l’histoire du monde arabe. A cette occasion, Buzzles est parti à sa rencontre pour évoquer le conflit syrien, l’Etat Islamique, et la place de la France dans la géopolitique moyen-orientale. Interview.
Comment l’Etat Islamique (EI) a-t-il pris tant d’ampleur dans le monde arabe ?
Lorsque les Américains sont arrivés en 2003, ils ont envoyé l’armée dans les foyers du Levant. De ce fait, les sunnites se sont sentis abandonnés, les chiites ont pris tous les pouvoirs, sauf à Bagdad : les sunnites ont donc tout perdu, à l’exception de cette ville. Les quatre provinces chiites d’Irak se sont également senties abandonnées en dehors de tout partage du pouvoir. Elles ont attendu, et au bout de onze ans, ont mis la main sur Al Qaïda, et sur tout ce qui était « islamiste ». Elles ont demandé l’aide de l’Occident afin de partager ce pouvoir, mais personne ne les a écoutées, elles ont encadré Daesh, et entre juin et octobre 2014, il y a eu cette percée.

Le politologue a longuement évoqué l’histoire de l’Islam et du monde arabe lors de sa conférence (crédit photo : Antonin Deslandes)
Comment voyez-vous le ralliement de Boko Haram à l’EI ?
Aujourd’hui, Boko Haram est sur la défensive. Sept armées le combattent, les Tchadiens, les Nigériens, les Nigérians, les Ivoiriens, et les Camerounais notamment. Ils se sentent un peu coincés, et ont besoin de ne pas se sentir seul. De son côté, l’EI a besoin d’autres appuis. Des « gens » qui peuvent sous-traiter des attentats, des enlèvements, etc.
Vous avez évoqué lors de cette conférence, « la préparation de la bataille de Mossoul ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
L’armée irakienne, aidée par les gardiens de la révolution iranienne, est en train de masser des troupes.
Vous disiez sur France Inter que la France n’était plus la passerelle qui permettait auparavant aux pays du Moyen-Orient et du Proche Orient de dialoguer. La France ainsi que d’autres pays européens ne se sont-ils pas perdus dans un certain « européocentrisme » qui leur donne une fausse représentation du monde arabe aujourd’hui ?
Il est important de souligner que parmi les pays européens, c’est la France qui mène politiquement et géopolitiquement « les choses » dans ces régions, que ce soit en Palestine, en Israël, partout. L’Angleterre est détestée, l’Allemagne est plutôt une puissance marchande. La France possédait un poids conséquent, mais elle l’a perdu.
Tout d’abord parce qu’elle n’est pas crédible avec ses alliances qataris et saoudiennes, ensuite parce qu’elle ne joue plus son rôle de passerelle : la France est dans un camp contre un autre. Il y a une reconquête à faire.
Pour retrouver cette crédibilité, la France ne devrait-elle pas rompre toute coopération militaire avec les monarchies du Golfe, et notamment l’Arabie Saoudite, comme l’a fait la Suède dernièrement ? Est-ce envisageable ?
Ce serait un rêve. Cela peut être envisageable, mais il faut bien que notre industrie de défense, dont l’aéronautique, tourne. Et elle ne tourne malheureusement que dans ces pays-là. D’ici 2017, il y a 2200 appareils aéronefs qui doivent être remplacés seulement dans les pays du Golfe. 2200 appareils, vous rendez-vous compte de l’enjeu ?
Vous évoquiez tout à l’heure qu’il fallait empêcher ces monarchies du Golfe d’avoir des parts dans notre industrie qui symbolise notre souveraineté nationale. Est-ce réaliste ?
Le Qatar a pris 10.4 % du groupe Lagardère. Il ne faut pas oublier que Lagardère a participé à la création d’EADS.
Sur France Inter encore, vous disiez le 2 mars dernier que des contacts existaient de nouveau entre Paris et Damas. Pourquoi cette volte face ?
Il y a eu bien entendu une reprise de contact en 2013 et 2014. Les Syriens ont joué le jeu car ils avaient tout à y gagner. Mais il y a eu un article dans Le Monde qui a considérablement énervé les politiques, ceux-ci ont alors interdit toute reprise de contact sous menace de sanction.
Frédéric Pichon estime que dans l’entourage de Manuel Valls, le pragmatisme règne quant au comportement à adopter dans le conflit syrien, et qu’il serait même envisagé de reprendre de sérieux contacts entre les deux pays.
C’est nouveau en effet. J’espère que cela va fonctionner. Parce que les seuls qui ont la liste des djihadistes, ce sont les services syriens.
Mais alors si cette coopération se renforce, cela ne serait-il pas synonyme d’abandon du soutien à l’opposition syrienne ?
Il n’y a plus d’opposition syrienne. Celle qu’on voit à Paris, à Doha ou à Istanbul, est appelée à Damas « l’opposition cinq étoiles ». Alors oui on peut demander à deux ou trois personnes de l’opposition de devenir ministres dans un objectif d’union nationale. Cette opposition démocratique et laïque n’existe pas. Même Michel Kilo, qui est le plus à même de prendre la tête de cette opposition nationale, ne le fait pas. Qu’attend-il pour prendre la tête de cette opposition ? Il a passé le tiers de sa vie en prison, c’est le seul qui est encore crédible et capable de le faire. Mais en plus, il est malade. Souvenez-vous de ce proverbe : « Tu veux tuer le gardien de la vigne, ou tu veux manger le raisin de la vigne ? »
Antonin Deslandes
Sacha Zylinski
Vous vous êtes attaqués à un problème ardu !
Je regrette globalement qu’il n’y ai pas de réponse à vos questions. Est-ce réaliste ? pas de réponse. Pourquoi cette volte face ? pas de réponse.
Je reste donc un peu sur ma faim, soit parce que votre homme était trop concis, soit parce que vous avez voulu synthétiser, et un peu trop…