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Canada : le pouvoir politique limite l’accès à l’information
Au Canada, il n’existe pas de loi protégeant l’anonymat des sources des journalistes. Les tribunaux jugent au cas par cas. Mais problème : le premier ministre Harper a une haine affirmée envers les médias. Jusqu’où peut-il aller pour museler l’accès à l’information des journalistes ?
Alarmant. Le projet de loi C-51 promu par le gouvernement conservateur canadien peut remettre en cause la liberté de la presse. Cette loi anti-terrorisme donnerait des pouvoirs supplémentaires aux autorités et faciliterait le partage d’informations entre les organismes et ministères du gouvernement canadien. Faut-il alors avoir peur pour la capacité d’action des journalistes ? Les sources seront-elles moins enclines à délivrer des informations aux journalistes sachant qu’elles seront surveillées plus facilement ? Ces questions sont légitimes sachant que le gouvernement Harper n’en est pas à son coup d’essai. Retour sur un contrôle de l’information et du secret des sources qui inquiète les journalistes.
Gouvernement vs médias
« Stephen Harper agit comme si les médias étaient ses ennemis jurés », annonce Philippe Marcoux, professeur de journalisme à l’université de Concordia (Montréal). Le premier ministre conservateur exprime une opposition profonde aux médias. Daniel Leblanc, journaliste politique au Globe and Mail, reconnaît que depuis l’arrivée au pouvoir de Stephen Harper en 2006, il y a un plus grand contrôle sur l’information : « les journalistes sont plus limités pour parler. L’accès à l’information prend plus de temps car certaines informations sont censurées par le gouvernement ». D’après un article de La Presse, les Journalistes canadiens pour la liberté d’expression ont accordé un F moins au gouvernement dans un rapport de 2011 prouvant que les délais pour répondre aux demandes d’information se sont allongés : « les statistiques montrent que 44 % des requêtes d’accès à l’information n’obtiennent pas de réponses dans les délais prescrits de 30 jours ». Harper organise aussi des conférences de presse à la dernière minute, refuse de répondre à certaines questions, choisit les journalistes qui ont le droit de poser des questions ou encore restreint l’accès de la presse à ses ministres. Cette méfiance envers les médias n’est pas nouvelle de la part de la classe politique mais depuis le gouvernement Harper, elle s’est accrue et induit donc une entrave directe à la liberté de la presse. Le premier ministre canadien a même déclaré à la radio que la très grande majorité des journalistes de Radio-Canada ne partageait pas ses valeurs conservatrices qui seraient, selon lui, celle de la majorité des Canadiens.
Le premier ministre Stephen Harper juge que beaucoup d’employés de Radio-Canada détestent les valeurs portées par les conservateurs. Voici les propos qu’il a tenus sur les ondes de FM 93 mi-février 2015.
La protection du secret des sources mise en cause
« Il y a une chasse aux sources » affirme Daniel Leblanc. Ce journaliste au Globe and Mail sait de quoi il parle : il a eu affaire à la justice après le scandale des commandites (2000) qu’il a contribué à révéler. « Le groupe publicitaire Polygone a cherché à connaître ma source : j’ai trouvé cela inacceptable » déclare le journaliste qui obtient finalement gain de cause en 2010 à la Cour Suprême du Canada. Un processus long mais qui a permis de clarifier les droits des journalistes en matière de protection des sources même si ce droit n’est pas absolu.
Daniel Leblanc n’est pas le seul à avoir rencontré des problèmes quant à la protection du secret des sources. L’affaire McIntosh a aussi ébranlé la protection des sources, en donnant plus d’importance à l’enquête policière qu’à la liberté de presse. Patrick Lagacé, journaliste à La Presse, se fait même beaucoup plus critique sur l’intrusion des services de sécurité dans son travail journalistique. Dans un article intitulé »Quand la police traque les sources journalistiques », il explique que la Sûreté du Québec a été envoyée par le pouvoir pour enquêter sur ses sources dans l’affaire Ian Davidson. Pour Patrick Lagacé, « la Sûreté du Québec met plus d’efforts à traquer les sources des journalistes qu’à coffrer les amis du pouvoir ». D’où son inquiétude : sans confidentialité des sources d’information, difficile d’avoir une grande liberté de la presse. Et quand on demande à la Sûreté du Québec des commentaires sur cette histoire : « nous ne pouvons rien communiquer car l’enquête est en cours » …
Les journalistes ont par ailleurs échappé de peu en 2013 à une loi fédérale qui aurait grandement mis en péril la protection des sources journalistiques. Le projet de loi C-461 aurait rendu plus difficile la protection des renseignements se rapportant aux activités de journalisme de la Société Radio-Canada car il risquait d’éloigner de Radio-Canada des sources qui auraient pu se sentir moins bien protégées. Ce projet a été déposé par le député conservateur Brent Rathgeber qui a publiquement proclamé qu’il ne voyait pas l’intérêt d’un radiodiffuseur public de nos jours, selon le CJFE (Journalistes canadiens pour la liberté d’expression).
L’argument sécuritaire au détriment de la protection des sources
Alors quand la loi C-51 a été proposée puis est rapidement passée en Chambre des communes, la problématique de la liberté de la presse s’est encore posée. « C’est une préoccupation légitime pour les journalistes. Il s’agit de savoir si on est espionné ou pas. » résume Daniel Leblanc qui avoue ne pas s’être davantage penché sur la question. Le gouvernement passe-t-il par l’argument de la sécurité pour réduire la capacité d’action des journalistes ? Selon la porte-parole de la Sécurité publique du Canada, Josée Sirois, le projet de loi anti-terrorisme n’a rien à voir là-dedans : « ce projet de loi assure que des garanties suffisantes sont en place pour protéger les droits des Canadiens en renforçant la protection, le contrôle et la responsabilité. De plus, le Service Canadien de Renseignement de Sécurité n’est pas autorisé à enquêter sur les activités légales de protestation et de dissidence ». Pourtant Pamela Palmater, directrice de la chaire en gouvernance autochtone à l’Université Ryerson, explique dans un article que la loi C-51 ne vise pas à lutter contre le terrorisme mais à « maintenir les relations de pouvoirs et la structure économique au Canada ». De plus, les conservateurs veulent faciliter l’échange d’informations entre les différentes agences liées à la sécurité publique. Plusieurs violations de la loi sur l’accès à l’information ont été dénoncées par les citoyens canadiens. Ces derniers contestent aussi le projet de loi anti-terrorisme qu’ils jugent trop vaste et qui met en danger leur liberté d’expression.
Manifestations des citoyens canadiens contre le projet de loi C-51
En ce début de mois de mars 2015, on apprend que le Globe and Mail va bientôt adopter une plateforme sécurisée, SecureDrop, afin de crypter les communications pour transmettre des informations secrètes. Coïncidence ? Difficile de savoir encore exactement si la loi aura un impact sur le travail des journalistes. Mais il est certain que la loi est en continuité avec les mesures de restriction prises par le gouvernement conservateur depuis une dizaine d’années. Et de même, quand on demande des commentaires à des députés conservateurs sur la protection des sources en rapport avec le projet de loi C-51, aucune réponse. A croire que les journalistes dérangent bien le gouvernement Harper.
Camille Degano