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Chambre avec vue sur la guerre, récit d’une reporter
Blessée en Syrie, la journaliste Edith Bouvier livre un témoignage saisissant sur le travail des reporters, et l’enfer que connaît la population syrienne.
Février 2012. Edith Bouvier, grand reporter, est en Syrie pour couvrir l’un des conflits les plus meurtriers du Moyen-Orient. Gravement blessée à la jambe lors d’un bombardement, elle est recueillie avec le photographe William Daniels par des membres de l’Armée Syrienne Libre (ASL). Mais la blessure est trop grave pour qu’ils puissent l’opérer, elle doit être transférée au Liban. Commence alors une longue et douloureuse attente pour la jeune journaliste et ses confrères, réfugiés dans une maison de fortune, où les bombardements ne sont jamais loin.
Un formidable récit de guerre. Une plongée au cœur de l’enfer syrien. Dans son témoignage, Edith Bouvier raconte avec une précision et un sens remarquable du récit le quotidien des médecins, soldats, familles et enfants de la ville de Homs, en plein cœur du conflit. Le manque de moyens, de nourriture, la peur qui pèse chaque seconde sur leurs vies. La solidarité entre les habitants. Et le régime sans pitié de Bachar el Assad.

Blessée lors d’un bombardement en Syrie, la jeune journaliste a été transférée dans un refuge de fortune de l’ASL avant de s’échapper. Dix jours entre la vie et la mort. (Crédit photo: elle.fr)
Traumatisme. Colère. C’est ce que l’on ressent en lisant ce livre. La plume nous transporte, on a l’impression d’être dans un autre monde. Un monde pourtant bien réel, que des chiffres ne pourront jamais illustrer pleinement. Plus de 220 000 personnes sont mortes, dont 13 000 sous la torture, près de quatre millions de réfugiés n’ont plus de toit, 2 millions d’enfants vivent dans une situation extrêmement précaire. Difficile de prendre conscience de telles données. C’est en cela que ce témoignage est précieux. La journaliste dépeint une situation dans laquelle la vie d’enfants dépend de la bonne volonté de barrages militaires, qui les laissent ou non accéder à l’hôpital. Elle décrit comment les militaires du régime attendent que les secours arrivent pour anéantir ceux qui venaient en aide aux victimes, ou encore comment ses collègues journalistes, dont certains de ses amis, sont morts pour raconter l’histoire de ces gens.
Un conflit, plusieurs récits
Histoire. Qui sont les protagonistes du conflit ? Qui le régime essaie-t-il d’anéantir ? Quel contexte géopolitique sévit dans la région ? Toutes ces questions trouvent des réponses à travers ce témoignage, structuré comme un carnet de route. La jeune femme nous parle aussi du Liban, de la Turquie, du Moyen-Orient. Elle met l’accent sur l’histoire de ces pays. Comment Hafez el Assad – père de Bachar et ancien président de la République syrienne – a réalisé son coup d’Etat en 1970. Comment la France, dès 1920, avait déjà favorisé la dynastie alaouite. Au lieu d’y consacrer des chapitres longs et théoriques, elle glisse ces anecdotes au milieu du récit. D’autres histoires dans l’histoire, pour mieux comprendre comment la guerre s’est installée. Une illustration frappante des chiffres.
Immersion. Dans la peau d’une reporter de guerre, chaque émotion, chaque douleur, chaque tâche y est retranscrite avec précision. On y apprend ce que vivent les professionnels sur le terrain. Une véritable démystification s’opère. La longue attente à laquelle doivent faire face les journalistes, les angoisses avant que le passeur ne se décide enfin à vous faire franchir la frontière. Le long tunnel souterrain qui a permis à Edith Bouvier de passer en Syrie. La claustrophobie qui la prend, la peur, le courage aussi. La solidarité et l’entraide, entre journalistes, mais aussi avec la population.
Conscience. Au final, Chambre avec vue sur la guerre est un témoignage essentiel. Essentiel pour mesurer à quel point la situation en Syrie est dramatique. Essentiel pour comprendre bon nombre d’enjeux actuels au Moyen-Orient. Essentiel enfin, pour ne pas être indifférent, en tant que citoyen. Difficile d’en ressortir indemne.
Matthias Somm
Rares, sur Buzzle, les commentaires sur les livres. Remarquablement bien fait en plus ! Bravo, vous donnez envie de lire ce livre, malheureusement loin du roman…