RIG Grèce #1 – une presse libre mais limitée

C’est en 1864 que la liberté de la presse fait son apparition dans la Constitution grecque. Depuis, cette dernière a été révisée à six reprises. Et la presse n’est plus si libre que cela.

Dix mois de prison pour une caricature. Ne cherchez pas, cette condamnation surprenante a bien eu lieu en Europe, précisément en Grèce. Filippos Loïzos, caricaturiste grec de 28 ans, a été condamné pour blasphème par un tribunal d’Athènes à dix mois d’emprisonnement avec sursis. Son délit ?  Avoir parodié en septembre 2012 le moine orthodoxe Païsios, l’idole d’un culte de l’orthodoxie. Le nom de ce moine ressemble à celui d’un plat de pâtes traditionnel grec, le pastitsio. Pour avoir associé le moine et ce plat dans un dessin, Filippos Loïzos a été condamné par la justice de son pays.  Pourtant en Grèce la liberté de la presse est garantie de manière constitutionnelle.

 

 

L’article 14 de la Constitution du 9 Juin 1975 stipule que « la presse est libre, chacun peut exprimer et diffuser ses pensées oralement, par écrit et par la voie de la presse ». Mais l’article ne s’arrête pas là. La suite pose les limites auxquelles les médias doivent se tenir. Et elles sont nombreuses. Les journalistes n’ont le droit d’offenser ni les religions (il s’agit donc d’interdire le blasphème), ni le Président de la République ni le Premier Ministre. En cas de non-respect de ces contraintes, le journaliste concerné s’expose à une interdiction de publication, voire à une peine de prison.  

La religion a toujours eu une place importante chez les grecs. Ce prêtre orthodoxe grec nous le confirme.

Qu’en est-il du blasphème dans les autres pays européens ?

 

Touche pas à ma religion

Pour comprendre ces interdictions, notamment celles qui concernent le blasphème, il faut remonter à la première Constitution grecque. C’est l’Assemblée nationale d’Epidaure qui l’adopte en 1822 tandis que la Grèce se bat contre l’Empire Ottoman pour son indépendance. Le premier article de cette constitution donne le ton : « la religion de l’État est la religion orthodoxe ». « La religion est très importante pour les Grecs et l’Etat la protège énormément » raconte Catherine Hadjopoulo, la présidente de l’association de la communauté grecque des Alpes-Maritimes.

Outre la Constitution qui interdit le blasphème, l’article 198 du code pénal grec punit « celui qui offense Dieu quelle que soit la manière ». Bien qu’elle existe, cette loi reste très peu appliquée. Selon Manolis Mylanokis, un militant libertaire grec, cela s’explique par le fait que « les médias ne se risquent pas à parler des relations entre la religion et l’Etat ». Dès lors, on peut se demander si les journalistes peuvent diffuser ce qu’ils veulent. Pour Polyfimos, le producteur du média grec Radio-Bubble, « il est encore possible de tout diffuser. Certains producteurs ou journalistes utilisent tout de même des pseudonymes. Mais comme on a pu le voir avec la condamnation de Filippos Loïzos, cela n’assure pas forcément une sécurité. »

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La presse indépendante ose

Malgré ces restrictions imposées par la Constitution et la loi, certains médias n’hésitent pas à attaquer ouvertement le pouvoir en place et les symboles religieux. Dans ce domaine, le magazine indépendant Unfollow est l’exemple parfait. Sa signature ? Détourner les symboles du pouvoir et mettre dans des positions peu flatteuses les dirigeants du pays. Antónis Samarás, le Premier Ministre grec (2012-2015), a été à de nombreuses reprises la cible des attaques d’Unfollow. Le visage tuméfié ou représenté en Jésus lors de son enfance, l’homme politique n’a pas été épargné par les moqueries. Malgré ces attaques, le magazine n’a pas été inquiété par la justice même s’il craignait une plainte pour « outrage à la Constitution ». L’autre exemple est celui de Topontiki. « C’est un peu Le Canard Enchaîné grec. Il n’hésite pas à se moquer des politiques », décrit Catherine Hadjopoulo. La presse grecque est tout de même en mesure de dire et d’écrire à peu près ce qu’elle veut. Il lui reste un pas à faire pour pouvoir parler de tout… sans exception.

 

Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération Européenne des Journalistes, replace cette question du blasphème en Grèce dans le contexte européen. 

Lhadi Messaouden