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Tunisie : les journalistes étrangers témoignent
Même si Reporters sans frontières (RSF) a annoncé début 2015 qu’elle avait gagné sept places dans le classement mondial de la liberté de la presse, la Tunisie reste un lieu où la pratique journalistique est délicate. Parmi les professionnels de l’information qui couvrent l’actualité en Tunisie, les journalistes étrangers ont vu leurs conditions de travail évoluer.
Incomparable. C’est le mot choisi par David Thomson, journaliste à RFI et correspondant en Tunisie entre 2011 et 2013, pour décrire les conditions de travail des journalistes occidentaux depuis la révolution tunisienne. « À l’époque de Ben Ali, il était tout simplement impossible de travailler en Tunisie », ajoute-t-il. Sous l’ancien dictateur, les médias sont « des caisses de résonance des communiqués de presse envoyés par le gouvernement ». Travailler avec des journalistes du pays était donc difficile. Pierre Puchot, reporter au Maghreb pour Mediapart, confirme cette description. « À l’époque, les journaux tunisiens sont illisibles pour qui veut vraiment s’informer. »
En progrès, mais peut mieux faire
Selon le classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières début 2015, la Tunisie gagne sept places dans le classement, à présent 126ème sur 180 pays. Malgré cette progression, il n’y a pas vraiment de quoi se réjouir. Car dans un pays devenu démocratique, le résultat pourrait être meilleur. Le bilan de l’ONG pour l’année 2014 indique que la Tunisie ne fait pas partie des pays du monde où le nombre de journalistes tués, victimes d’agressions ou encore arrêtés, est le plus important (les records ont été battus par la Syrie, l’Egypte, la Lybie, l’Iran ou bien l’Ukraine). Le pays reste un terrain accessible et praticable pour les journalistes étrangers…
…Mais pas sans difficulté. En décembre 2014, l’Observatoire de Tunis pour la liberté de la presse enregistre 16 agressions, portant atteinte à 48 personnes travaillant dans le secteur de la presse. Parmi ces agressions, cinq interdictions de travail, trois agressions verbales et deux autres relevant du « harcèlement ». Un exemple qui témoigne d’une certaine précarité du système démocratique tunisien concernant la liberté de la presse.
Même tableau deux ans plus tôt. En décembre 2012, l’observatoire répertorie 24 cas de violence à l’égard des médias, dont 13 agressions physiques de journalistes. Preuve que depuis la Révolution, la liberté de la presse n’est pas une priorité dans le processus démocratique.
Bilan du nombre d’agressions de personnes travaillant pour un média, de décembre 2012 à décembre 2014 (cliquer sur l’image pour accéder à l’infographie) :
Des moyens de pression toujours d’actualité
En réalité, la Tunisie n’est pas encore habituée à la démocratie et à tout ce qu’elle implique. En témoigne le récent incident provoqué par le titre d’un article d’Elodie Auffray, journaliste pour le quotidien français Libération (« C’est fini la Tunisie, c’est fini le tourisme »). Le président tunisien, Beji Caid el Sebsi, a vivement réagi à ce titre, en déclarant : « C’est vous qui êtes finie, nous, nous sommes là. »
Pour David Thomson et Pierre Puchot, cet incident prouve que les pressions exercées par les politiques concernent tous les journalistes, tunisiens et étrangers.
L’attaque au musée du Bardo, le 18 mars, a installé la menace terroriste sur le sol tunisien. « La protection des journalistes n’est vraiment pas la priorité du gouvernement en ce moment », indique Pierre Puchot. Et de préciser que « la législation du pays, compliquée et pas encore adaptée à la presse », ajoute un obstacle à la liberté d’information dans un « terrain déjà peu propice à la démocratie ».
Suzanne Shojaei