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La cyber-Tunisie autorisée à parler
404 File Not Found. Un message que beaucoup de Tunisiens ont rencontré plus d’une fois lors d’une recherche sur internet sous le régime de Ben Ali. Il est bien plus difficile de tomber dessus aujourd’hui. Quatre ans après la chute du président, la censure gouvernementale ne fait plus partie du paysage. Même s’il reste encore du chemin à parcourir, les cyber-activistes tunisiens sont à présent libres de s’exprimer et ne craignent plus les représailles.
« Lorsque je fais une critique, je commence toujours par le gouvernement », confie Kerim Bouzouita, cyber-activiste et chroniqueur politique franco-tunisien. Voilà qui résume bien la toute nouvelle liberté dont jouit à présent son peuple. « Nous sommes dans un des pays les plus avancés en terme de liberté. Nous ne faisons pas partie du top du dernier classement mondial de RSF sur la liberté de la presse [La Tunisie occupe la cent vingt-sixième place] car le taux d’agressions de journalistes reste élevé, mais nous sommes totalement libres », ajoute-t-il.
Un avis partagé par Sofiane Belhadj, cyber-dissident tunisien considéré comme l’un des principaux animateurs de la coordination des « Facebook révolutionnaires ».
« La parole est libre en Tunisie, et c’est l’un des plus grands mérites de la révolution », ajoute Skander Ben Hamda, autre cyber-activiste. Si le « règne » de Ben Ali ne l’a jamais empêché de dire clairement ce qu’il pensait, le jeune tunisien admet que sa chute a dû changer la vie des citoyens de son pays : « Ils peuvent se permettre beaucoup de choses qu’ils ne pouvaient pas faire avant. »
Pourtant, alors que la liberté de la presse semble gagnée, des journalistes sont menacés voire agressés. Certains Tunisiens sont même arrêtés et jugés pour avoir osé critiquer des institutions, telles que la religion ou l’armée. Le gouvernement justifie alors ces arrestations par la Constitution, qui interdit toute « atteinte au sacré ». Un droit de s’exprimer librement à relativiser donc, mais Skander reste serein : « Oui, il arrive qu’il y ait des exceptions. Le régime, certes démocratique, peut parfois avoir du mal à se mettre en place, car certaines personnes ont vécu toute leur vie en travaillant pour une dictature, mais on [les cyber-activistes] est là à chaque fois que quelque chose ne va pas et on empêche les choses d’aller plus loin. C’est grâce à ce réveil général que tout reviendra à la normale. »
« J’ai compris que le manque d’information permettait la répression dans le silence total »
Si les Tunisiens semblent si peu enclins à relativiser leurs nouvelles libertés, c’est parce que les anciennes restrictions restent dans les mémoires. « La censure était totale, elle était dispatchée entre différents organes gouvernementaux. Puis il y avait une énorme propagande étatique. On ne cessait de nous répéter que l’expression était totalement libre en Tunisie, alors que c’était l’inverse », se souvient Kerim.
Les trois Tunisiens ont pris de gros risques en contournant la censure par le net. Skander et Sofiane en ont payé le prix fort : ils ont été arrêtés durant la révolution, en janvier 2011. « Quand j’ai commencé à m’activer, j’étais pris dans le feu de l’action. Ensuite j’ai réalisé les risques que je prenais, mais ça en valait la peine », assure Skander. De son côté, Sofiane a vite réalisé que ce qu’il faisait sur les médias sociaux pouvait avoir des répercussions…
« J’ai commencé le cyber-activisme car j’ai compris que le manque d’information permettait la répression dans le silence total. On faisait pleinement le travail de journaliste qui n’était pas fait, on était les seuls à faire circuler l’information », confesse Sofiane. Du travail journalistique au piratage, en passant par des critiques satiriques, chacun a su mettre ses compétences au service de la révolution. C’est précisément parce qu’il s’agissait avant tout d’une « guerre psychologique », comme le souligne Kerim, que cette censure a pu être déjouée, grâce à l’évolution d’internet…
Une époque dictatoriale révolue, mais il faudra du temps à la Tunisie pour ancrer définitivement la liberté d’expression et de la presse dans ses moeurs…
Manon Bazerque