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En Birmanie, les vieux démons de la junte militaire ressurgissent
Le conflit armé en Birmanie a connu un sursaut en ce début d’année 2015, après deux ans de cessez-le-feu entre les différents belligérants. Sourd aux revendications des minorités ethniques et des étudiants, le pouvoir a renforcé sa présence militaire dans les zones sous tension, entraînant une nouvelle escalade de la violence.

La Birmanie, mosaïque ethnique et véritable poudrière (crédit Photo : Stimson, the Worldfactbook 2011)
La guerre civile birmane, plus long conflit en cours, est pourtant bien souvent oubliée des grands médias. Le pays, véritable mosaïque ethnique, est déchiré depuis 67 ans par les tensions confessionnelles et par un état sourd aux velléités d’indépendance de plusieurs régions. Les gouvernements qui se sont succédé à la tête de la Birmanie ont mené une politique répressive envers les minorités ethniques, ce qui a poussé certains groupes indépendantistes comme les Karens, représentés par l’Union nationale Karens, à s’insurger contre la junte birmane de Naypidaw, et à réclamer leur autonomie. Mais en 1960, le gouvernement refuse la création d’un État fédéré, ce qui accélère le ralliement de diverses minorités à la cause Karen. En parallèle, les tensions religieuses s’exacerbent. Lorsque le pouvoir, qui se voulait laïc au lendemain de l’indépendance birmane en 1948, annonce le bouddhisme comme religion d’État, les minorités confessionnelles musulmanes et chrétiennes se soulèvent et subissent dès lors la discrimination d’une frange de la population bouddhiste.
Pourtant, depuis le départ du régime militaire et l’élection, néanmoins controversée, du président Thein Sein, la situation semblait s’améliorer. Pour minimiser le marasme ambiant, le pouvoir signe un cessez-le-feu avec près de vingt-cinq groupes rebelles en 2010, et avec l’Union nationale Karen en 2011. Mais depuis octobre dernier, la présence militaire du pouvoir s’est accrue dans l’est de la Birmanie, ce qui a conduit à de nouveaux heurts et à des exactions contre les civils karens.
La loi martiale décrétée au nord
Dans la région du Kokang, la situation s’embrase également. Les forces du pouvoir birman affrontent l’Armée de l’Alliance Nationale Démocratique du Myanmar (MNDAA), ancien membre du parti communiste birman, la première force politique à s’être soulevée contre le pouvoir après l’indépendance du pays. L’organisation a retrouvé son dirigeant, Phone Kya Shin, en exil depuis six ans. Les affrontements ayant éclaté début février ont fait plusieurs dizaines de morts, et ont poussé des milliers de birmans à quitter le pays pour rallier la Chine. « On ne sait pas vraiment pourquoi les hostilités ont repris, ni qui a provoqué l’autre le premier. Ce qui est sûr, c’est que le pouvoir ne dialogue pas », explique Cécile Harl, membre de l’association Info Birmanie.
Le territoire est notamment disputé pour ses ressources naturelles et du fait de la volonté du gouvernement d’en faire une nouvelle « route de la soie ». Un gazoduc et un oléoduc doivent également être construits dans la région, et les autorités birmanes ont besoin de contrôler la zone. Mais la présence militaire de ces autorités n’a fait qu’exacerber les tensions, menant à une escalade de la violence. Aujourd’hui, les mouvements rebelles appellent le régime à abandonner « l’idéologie de la suprématie birmane » et à rétablir la paix entre les différentes minorités ethniques. Les vives tensions ont d’ailleurs suscité l’inquiétude des Nations Unies. Yanghee Lee, rapporteur de l’organisation sur la situation des droits de l’Homme, déclarait début janvier être « choquée de voir certaines minorités être l’objet de rumeurs, de politiques discriminatoires voire de discours de haine ».
L’insurrection de la jeunesse étudiante
En novembre dernier, les représentants des étudiants birmans ont demandé le début de négociations concernant le projet de loi sur l’éducation. La jeunesse birmane a fait parvenir au pouvoir onze revendications pour réformer le système éducatif du pays. « Il y a eu un accord entre les étudiants et l’État le 14 février, mais au moment de la sortie du texte, ce dernier ressemblait à l’initial », s’étonne Cécile Harl. Depuis, la situation a considérablement empiré. Le 5 mars, les étudiants ont entamé une grève de la faim. Une manifestation réprimée, qui a fait plusieurs blessés et lors de laquelle la police a arrêté une dizaine de personnes.
Cinq jours plus tard, les étudiants sont de nouveau attaqués par les forces policières birmanes, alors qu’un accord de paix avait été conclu avec le gouvernement. Plus d’une centaine d’entre eux sont arrêtés. « Il est possible que de faux étudiants soient emprisonnés, et diffusent de faux messages sur les réseaux sociaux. C’est une technique pour décrédibiliser le mouvement », nous confiait Cécile Harl, inquiète de la situation sur place. Info Birmanie a exhorté plusieurs fois le gouvernement français à condamner fermement les exactions dont sont victimes les populations birmanes, et notamment les étudiants. Mais l’appel est resté sans réponse. L’association explique ce mutisme par le fait que le gouvernement français ne veut pas altérer ses relations diplomatiques avec l’État birman. « La France encourage actuellement les entreprises à investir là-bas », selon Cécile Harl. Une politique qui questionne encore un peu plus la crédibilité de la diplomatie française.
Antonin Deslandes