Comment peut-on (ne pas) parler d’Israël ?

Dans le pays du cèdre, les journalistes comme les citoyens marchent véritablement sur des œufs lorsqu’il s’agit de parler de « l’ennemi » Israël. Le Liban est présenté comme l’un des pays du Moyen Orient ou la liberté d’expression et la liberté de la presse sont les plus développées. La loi interdit pourtant aux libanais de parler « positivement » du voisin israélien, limitant à priori cette liberté.

Thomas est un français de 26 ans. Fraichement diplômé d’architecture, il part de Bruxelles avec sa copine afin de s’installer pour trouver du boulot à Beyrouth. Après avoir passé près d’un an dans la capitale libanaise, il porte un regard lucide sur la relation Liban/Israël : « Les infos live (de l’Orient le jour) me permettaient de suivre ce qu’il se passait dans le pays quasiment en temps réel, notamment les accrochages incessants au Sud Liban avec Israël ». Pour Thomas, pas de doute sur ce sujet : « La presse locale est très impliquée dans le relai des informations concernant ce conflit. Le Hezbollah, la FINUL et l’histoire chaotique entre les deux pays font du rapport avec Israël un sujet très tendu et présent dans les médias ». Si la présence du conflit dans l’espace médiatique libanais n’est pas à remettre en cause, la liberté des journalistes quand à la façon de traiter du sujet l’est beaucoup plus. Pour Philip Abou Zeid, journaliste à la LBC (principale chaîne de télévision libanaise), « Il est important de noter que la constitution libanaise interdit toute forme de normalisation des relations avec l’Etat d’Israël ». Cela paraît aberrant mais pas pour Philip, qui ajoute : « Le code pénal libanais impose la peine de mort à tous ceux qui essayent de communiquer avec l’ennemi du Liban : Israël ».

La loi libanaise, un frein à la liberté de la presse ?

Sur ce point si sensible, la loi libanaise semble mettre un sacré coup à une liberté de la presse pourtant mise en avant. Mais pour Philip comme pour Thomas, la loi ne paraît pas être nécessaire pour tout le monde : « Quelques libanais pensent que ce n’est pas grave de mener des négociations avec Israël mais pour la plupart c’est toujours un tabou ». Signe que si l’encadrement légal peut s’apparenter à une censure de la part des autorités, une majorité de libanais n’ont pas besoin des lois pour voir leur voisin de longue date comme leur principal ennemi. C’est cette idée qui est particulièrement frappante. Pour le journaliste non plus, pas besoin de cadre légal : « Je tiens compte (en tant que professionnel) à ne jamais traiter du sujet, surtout si c’est pénalisé par la loi. De plus, cela part d’une conviction personnelle : Israël est l’ennemi du Liban et de tous les libanais. Traiter du sujet en dehors de ce contexte est hors de question ».

Les tensions avec Israël ne datent pas d'hier, ici la une du journal Assafir en 1982. Crédits DR

Les tensions avec Israël ne datent pas d’hier. Ici la une du journal Assafir en 1982, contre l’entrée d’Israël au Liban. Crédits DR

Certains, comme Béchara Maroun, journaliste à l’Orient le jour, relèvent plus volontiers des différences d’opinion : « Même si la grande majorité des Libanais s’entendent sur la véracité des ambitions expansionnistes d’Israël, certains pensent qu’il faudrait aboutir à une paix durable avec cet Etat à long-terme ». Le constat est bienvenu et l’on pourrait croire à une critique à peine masquée, mais le journaliste balaie tout de suite cette idée : « On pourrait dire que la liberté d’expression est minimale. Mais comme je ne penserai jamais à écrire de tels articles, et qu’à l’instar de nombreux collègues, je crois vraiment que l’état hébreu est un état ennemi, je ne me suis jamais senti moins libre à ce niveau ».

Les dates clés du conflit israélo-libanais :

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Ces témoignages apportent autant de questions que de réponses sur la réelle liberté qu’ont les journalistes libanais pour traiter la relation de leur pays avec Israël. A en croire Philip et Béchara, le Liban est un pays ou la liberté de la presse est réelle. Béchara rappelle que cette liberté peut être limitée, concluant malicieusement : « Il est vrai que certains thèmes ne sont pas abordables, mais cela n’a jamais trop gêné les journalistes au Liban qui trouvent toujours un moyen subtil pour s’exprimer ».

Antoine Coste Dombre