Concentration des médias au Canada : Quebecor, Gesca et Cie

Au Québec, deux groupes – Quebecor et Gesca – possédaient encore, il y a quelques semaines, 97% de la presse francophone payante. Dans la Belle Province et sur l’ensemble du Canada, les magnats de la presse règnent en maîtres sur les entreprises de presse.

Bien qu’elle soit toute nouvelle dans le monde des entreprises de presse, Gestion Capitales Médias (GCM) possède déjà six quotidiens à son actif. Mercredi 18 mars, cette toute jeune société, créée 24 heures plus tôt, rachète six titres de presse québécois au groupe Gesca/ PowerCorporation : Le SoleilLe Droit, Le Quotidien, Le Nouvelliste La Tribune, et La Voix de l’Est. Ces titres passent ainsi aux mains de Martin Cauchon, unique actionnaire de GSM. Le groupe Gesca/ PowerCorporation, propriété de la famille Desmarais, ne détient plus que le quotidien La Presse de Montréal et sa version numérique La Presse +.

Une nouvelle qui dans un premier temps surprend. « J’ai été étonné de la vente à l’ex-ministre fédéral Martin Cauchon. Je ne lui connaissais pas un intérêt pour la presse ni de fortune personnelle. Je ne croyais pas qu’un homme d’affaires puisse s’intéresser à la presse écrite régionale. », raconte Normand Provencher, journaliste et chroniqueur au quotidien Le Soleil racheté par GSM.

Puis la transaction fait vite polémique. Certains se demandent comment un homme politique tel que Martin Cauchon a pu réunir une telle somme pour acquérir les titres de presse.

D’autres y voient un double jeu de la part de la famille Desmarais. Martin Cauchon, ancien majordome de la famille canadienne, n’opèrerait-il pas en sous-main ? Philippe Marcoux, professeur en journalisme à l’Université de Concordia (Montréal), se demande si cette vente est une bonne nouvelle : « En théorie ça devrait faire moins de concentration de la presse à l’échelle provinciale. Mais comme Martin Cauchon est un proche de la famille Desmarais et qu’il n’a pas de fortune personnelle je me demande ce que cette transaction cache vraiment. Cela dit, il n’y a peut-être rien de caché ». Une affaire de plus qui renvoie à la concentration des médias, « un fléau important au Canada » ajoute Philippe Marcoux.

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Trois grands groupes de presse influents

Quebecor, Gesca, ou encore Brunswick News. Trois groupes influents. Trois groupes qui possèdent la quasi totalité des médias du pays. Focus sur cette minorité de groupes qui contrôlent le système médiatique.

Cliquez sur les images pour découvrir ces trois grands groupes de presse:

  • Quebecor: 

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Regardez la première partie de cette enquête sur ce géant médiatique:

 

  • Gesca/ PowerCorporation:

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  • Brunswick News:

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Regardez en infographie le nombre de publications presse par grands groupes de presse:

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La concentration des médias, une affaire politique ?

Les grands groupes de médias et de télécommunications du pays ont à leur tête des hommes politiques ou des familles très influentes. Ce qui soulève la question des pressions exercées sur la ligne éditoriale des journaux et sur les conflits d’intérêts.

« Je suis journaliste au Soleil depuis plus de 30 ans, j’ai été critique et chroniqueur, et jamais je n’ai eu à subir quelque forme de censure que ce soit. », affirme Normand Provencher. Autre son de cloche chez Frédérique David, journaliste pigiste pour des hebdomadaires régionaux et qui raconte avoir été censurée. Quand l’hebdomadaire pour lequel elle tient une chronique est racheté par le groupe Transcontinental, le moindre article d’opinion est banni, en tout cas dans les journaux des Laurentines. « Deux semaines après l’arrivée de Transcontinental à la tête du journal, on m’a annoncé que ma chronique était terminée. » Même chose pour les lettres des lecteurs. Philippe Marcoux justifie tout de même: « Ce sont des patrons de presse qui laissent apparemment pas mal de liberté à leurs rédactions. Ils ont leur penchant politique qui transparait parfois dans la ligne éditoriale de leur journal respectif mais tout ça est connu et reconnu. ».

Que faire alors contre cette hyper-concentration des médias ? Le député Jean-François Lisée soulève quelques idées sur son blog personnel mais d’autres proposent d’aller plus loin.

Eric George, professeur à l’Université du Québec à Montréal, voit dans « le Danemark un exemple à suivre » contrairement au Canada où l’organisme de réglementation, le CRTC (équivalent du CSA français), a adopté « une politique fort peu contraignante envers la concentration ». La solution pour lui ? « Un responsable politique ne pourrait pas devenir dirigeant d’un média – et vice-versa – pendant une période minimale après avoir quitté son poste. Il y aurait des décisions à prendre mais nos responsables politiques en ont-ils le courage ? ».

Cette question de la concentration des médias ne semble plus préoccuper les décideurs. « Lors de la vente des journaux Gesca, la semaine dernière, le gouvernement Couillard l’a appris quinze minutes avant et n’a voulu émettre aucun commentaire », a constaté Normand Provencher, journaliste à Le Soleil. Le Premier Ministre Stephen Harper ne semble pas en faire une affaire prioritaire. Il considère d’ailleurs les médias comme « ses ennemis jurés », relève Philippe Marcoux. Le premier Ministre se distingue en effet par une absence de transparence. « Lors de ses sorties publiques, il ne répond à aucune question. Et quand ça arrive, il décide qui va poser la question, et une seule par journaliste », relate Normand Provencher. Avant d’ajouter : « Au lieu de donner des entrevues à des quotidiens influents, il préfère parler au magazine promotionnel des magasins Costco… ».

Le Canada occupe la 8ème place au classement pour la liberté de la presse selon RSF, mais il semble bien que ce bon classement masque une situation nécessairement plus compliquée.

Mathilde Brun