Les journalistes boivent le discours des compagnies pétrolières

Avec une industrie pétrolière sur laquelle repose l’économie norvégienne « il n’y a quasiment pas de contestation de ces compagnies dans les médias » déclare Kjersti Løken Stavrum, leader de l’association pour la presse norvégienne (NP). 

Première industrie du pays, 48 milliards de dollars de recette en 2012, la Norvège est aussi le troisième exportateur mondial de gaz. Les ressources naturelles de la Norvège ont contribué à en faire l’un des pays les plus riches au monde. Le pays est aussi connu comme étant un investisseur majeur en matière de développement durable. Près de 99% de son électricité est basée sur l’hydroélectrique. Une situation très paradoxale qui serait peut-être à l’origine d’un tabou dans une Norvège si transparente.

Les principaux exportateurs de pétrole dans le monde en 2012.

Les principaux exportateurs de pétrole dans le monde et la Norvège en 2012.

« There is an oil industrial complex in Norway » résume Andreas Ytterstad. Ce professeur donne des cours de journalisme sur le changement climatique à l’institut universitaire d’Oslo et Akershus. Son analyse peut-être interprétée comme un complexe de la Norvège, tiraillée entre ses discours et engagements en matière de développement durable et son industrie pétrolière. Si le pays ne peut bien sûr pas être tenu pour responsable de l’utilisation de pétrole par le reste du monde, il en a pourtant fait sa richesse, 30% de ses recettes totales en 2012. « Les politiques préfèrent parler de ce qu’ils font globalement pour lutter contre le réchauffement climatique que du fait qu’ils exportent des énergies polluantes » témoigne l’enseignant chercheur.

« Les rédactions ont accepté le récit des compagnies pétrolières »

Sven Egil Omdal est un éditorialiste renommé pour le journal « Stavanger Aftenblad ». Dans un article plutôt critique, il présente une presse majoritairement conciliante régie par un principe : « Ne pas déranger la poule aux œufs d’or ». Et de préciser que « l’industrie pétrolière a peu à craindre de la presse norvégienne». Il ne s’agit pas d’une quelconque censure, Andreas Ytterstad parle plus « d’influence » sur les journalistes. Le message des compagnies pétrolières et des trois principaux partis politiques, écrit Omdal, semble avoir été intégré par une majorité de journalistes.

Magnus Borgen, chef de la communication à Bellona, une ONG environnementale internationale basée à Oslo, veut nuancer cette constatation. « Il existe dans tous les principaux médias des journalistes sérieux qui ont une bonne compréhension des questions environnementales » : « une minorité puissante » résume-t-il. Les questions environnementales sont largement traitées par les médias. C’est l’un des sujets les plus couverts d’après cet ancien journaliste à l’Aftenposten (un des journaux de référence du pays). Il revendique la facilité qu’a l’ONG à se faire entendre dans les médias. « Dans 90% des cas, il suffit d’un ou deux coups de fil pour faire sortir une histoire ». Il y aurait une raison politique à cette facilité. « Il y a souvent un parti écologique dont le parti majoritaire a besoin pour former un gouvernement de coalition » précise-t-il. Ce qui explique que les organismes environnementaux soient très présents dans la sphère politique et dans les médias.

« Le forage dans l’extrême nord est toujours un sujet sensible »

Kjersti Løken Stavrum est leader du Norsk Presseforbund (NP), l’association pour toute la presse norvégienne et explique comment la société et ses journalistes se sont simplement « habitués à avoir affaire à cette industrie et à en vivre ». Mais un point sensible perdure. Pour le trouver il faut aller vers le Cercle polaire, où les ressources naturelle du nord font miroiter un nouvel eldorado énergétique. La question de l’exploitation de l’archipel des Lofoten, qui regroupe des milliers d’îles en Norvège, parmi les plus belles au monde, a divisé la population. Il s’agit d’un « lieu symbolique » raconte Andreas Ytterstad. Un endroit protégé qui regorgerait de pétrole, mais les politiciens sont très frileux sur la question du forage dans cette zone. « Les Lofoten étaient le point de non retour » relate cet enseignant en journalisme. La préservation de ce site unique, berceau de la pêche en Norvège et écosystème fragile, a été une grande victoire pour une majorité de la population d’après lui. Le discours politique apparemment si bien accepté par les journalistes montre ici ses limites. Ytterstad témoigne d’un changement de mentalité parmi les journalistes et dans la société.

Malgré son  paradoxe, la Norvège montre bien qu’elle n’a pas grand chose à cacher. Si tout n’est pas parfait, le pays peut en tout cas se targuer de pouvoir parler de tout, y compris de ses journalistes parfois trop conciliants. Sven Egil Omdal, avec son édito, prouve bien que si dérive il y a parmi certains journalistes, d’autres n’hésiteront pas user de leur liberté pour leur rappeler.

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Soraya Bezombes