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Bâtiment : un compte pénibilité inapplicable
Au 1er janvier 2016, le compte pénibilité devra être mis en place dans les entreprises du bâtiment. Organisations patronales, syndicats ouvriers et chefs d’entreprises dénoncent l’impossibilité de sa mise en œuvre.

Les ouvriers du bâtiment exécutent des travaux dits pénibles, que le compte pénibilité doit compenser par un système de points pouvant donner accès à une retraite anticipée. Crédit photo : AFP ImageForum – Lemoniteur.fr
« Le compte pénibilité, c’est un casse-tête dont on se passerait volontiers », explique Jean-Louis, chef d’une entreprise en bâtiment. À partir du 1er janvier 2016, cet entrepreneur des Alpes-Maritimes devra pourtant mettre en place le dispositif « pénibilité » se déclinant en deux axes : le compte pénibilité, au bénéfice des salariés qui exécutent des travaux dits pénibles et le financement de ce compte, sous la forme d’une taxe supplémentaire sur les entreprises. Les salariés de ce secteur sont exposés aux six facteurs de pénibilité retenus : la manutention manuelle, les postures pénibles, les vibrations, l’exposition aux agents chimiques, les températures extrêmes et le bruit. L’infographie « Les multiples visages de la pénibilité au travail », publiée sur lexpress.fr, montre que la construction est le secteur d’activité le plus touché par quatre des six facteurs de pénibilité retenus. « Le bâtiment est touché plein pot », constate Ludovic Patti, secrétaire général de la Fédération du bâtiment et des travaux publics des Alpes-Maritimes (FBTP).
L’évaluation de la pénibilité consiste en l’attribution, par l’employeur, d’un nombre de points déterminé pour chaque tâche pénible effectuée par ses salariés. L’accumulation de ces points leur permettra de bénéficier d’une formation professionnelle, d’un travail à temps partiel ou d’un départ anticipé à la retraite. Les travaux pénibles devront être répertoriés sur une fiche individuelle propre à chaque salarié. « C’est une usine à gaz pour les entreprises », met en garde Georges Bisson, président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB). L’applicabilité de la mesure est vivement remise en cause. « Vous imaginez si le chef de chantier doit vérifier à chaque instant les tâches difficiles effectuées par le salarié ? Pourquoi ne pas le munir d’un ‘buzzer’ pour signaler au chef de chantier quand il commence et termine une tâche pénible pour qu’il le note sur sa fiche ! La réalité de la vie n’est pas aussi simple que la théorie », explique Aresky Lounis, secrétaire général de l’Union syndicale de la construction et des travaux publics pour les Alpes-Maritimes. Une surcharge de travail, un mille-feuille administratif, c’est ce que dénonce Jean-Louis : « Les journées de travail sont déjà bien chargées. Je ne pourrai pas gérer ça seul. Si le compte pénibilité reste tel quel, je ne l’appliquerai pas ».
Vers une simplification du compte pénibilité ?
C’est la promesse de Manuel Valls. Face aux pressions du patronat, le Premier ministre a missionné, en janvier dernier, le député socialiste Christophe Sirugue et le chef d’entreprise Gérard Huot pour simplifier le compte pénibilité. Sans attendre les conclusions du rapport prévues pour le mois de juin, les sénateurs ont adopté un amendement, le 19 mars dernier, dans le cadre de l’examen de la loi Macron, visant à simplifier le dispositif, notamment par la suppression de la fiche individuelle. Pas suffisant pour rassurer Ludovic Patti : « Vous connaissez le jeu politique. Le Sénat a une majorité de droite, l’Assemblée nationale, de gauche. On ne se fait pas trop d’illusion. Quand la navette va revenir à l’Assemblée nationale, les députés vont revenir sur les dispositions qui ont été adoptées par le Sénat », craint-il. De son côté, le patronat maintient la pression. La Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises (CGPME) a récemment menacé d’un boycott la conférence prévue en juin sur les « freins à l’embauche dans les petites entreprises » si le gouvernement ne s’engage pas fermement sur un assouplissement du dispositif « pénibilité ».
En décembre 2014, le secrétaire d’État à la simplification, Thierry Mandon, avait proposé de supprimer un ou deux critères de pénibilité. Une piste de réflexion pour Christophe Sirugue et Gérard Huot ? De leurs côtés, organisations patronales et syndicats ouvriers proposent leurs solutions. Une « reconnaissance de la pénibilité par profession » et non par salarié pour Areski Lounis, accompagnée de la possibilité de partir à la retraite à 55 ans. Un dispositif d’évaluation de la pénibilité personnalisé pris en charge, non par l’entreprise, mais par la médecine du travail, pour Ludovic Patti. L’annonce faite, jeudi 9 avril, par le ministre du Travail François Rebsamen, devant un parterre d’artisans réunis lors de l’assemblée générale de la CAPEB, aurait pu mettre un terme au débat. Le ministre a annoncé la suppression de la fiche individuelle de pénibilité pour les petites et moyennes entreprises. Matignon a aussitôt démenti. Quant au cabinet de François Rebsamen, contacté par LeMonde.fr, il dénonce des « interprétations abusives ». En attendant, certains chefs d’entreprises s’inquiètent : « On ne connaît même pas encore les modalités précises. 2016 c’est demain ! On n’est pas prêts », alerte Jean-Louis.
Alice Gobaud