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Radio-Canada : l’information publique en crise
Depuis 2009, Radio-Canada a connu une série de compressions budgétaires, et plus récemment des critiques. Ces coupures dues au gouvernement ont des conséquences graves quant à la diversité et à la qualité de l’information proposée au pays de l’érable. Si le Canada se hisse dans les dix premiers pays en terme de liberté de presse selon le classement RSF, tout n’est pourtant pas acquis.
« Je retiens deux événements importants dans notre histoire : l’arrivée de Jacques-Cartier… et celle de Radio-Canada » déclarait Fernand Seguin, biochimiste et commentateur scientifique. Radio-Canada, plus ancien service de diffusion du Canada, est encore largement reconnue comme l’une des plus importantes institutions culturelles du pays; cette société d’État produit et diffuse sa programmation à la radio et à la télévision. Mais elle n’est pas du goût de Stephen Harper, premier ministre du Canada et chef du Parti conservateur. En février, sur les ondes de la radio privée québecoise FM93, celui-ci traitait les journalistes de Radio-Canada de « gauchistes ». Le radiodiffuseur public emploie selon lui, « une quantité importante de gens ayant en horreur les valeurs conservatrices, dont la lutte contre terrorisme ou la criminalité. »
« Harper déteste Radio-Canada »
Alain Saulnier, ancien directeur général de l’information à Radio-Canada en 2006, et auteur d’Ici était Radio-Canada, rappelle qu’Harper n’est pas le premier ministre à critiquer la chaîne, mais il est le premier à aller aussi loin. « Il n’agit pas comme un chef d’état mais comme un partisan, il doit protéger les institutions et non pas les attaquer. Harper je pense, déteste Radio-Canada » assure-t-il. Quoi qu’il en soit, l’auteur ne compte pas sur le gouvernement actuel pour assurer la survie du diffuseur public. Thomas Mulcair, chef du Nouveau Parti démocratique est du même avis et va plus loin: « Étrangler cette institution pour des raisons idéologiques est malsain pour notre démocratie ». Pour certains Canadiens, il est clair que le parti conservateur représenté par Stephen Harper, affiche une haine et une volonté d’affaiblissement du diffuseur public.
Les compressions en 2014 se sont élevées à 130 millions de dollars pour Radio-Canada et se traduisent notamment par l’élimination de 657 postes à temps plein. Ces restrictions budgétaires ont des conséquences directes : moins de moyens, c’est tout de suite moins de libertés pour les journalistes. Pour Philippe Marcoux, professeur de journalisme à l’Université Concordia, c’est leur capacité d’agir qui est affectée, « les véritables enquêtes journalistiques coûtent très cher et sont donc de plus en plus difficile à faire. Il y a aussi moins de journalistes et donc ceux qui restent doivent en faire plus et n’ont plus le temps de fouiller comme ça devrait être le cas.» De nombreux programmes d’information sont touchés par ces coupures, à l’image d’Enquête, une émission très suivie au Canada qui a permis de mettre au jour de grands scandales, notamment de corruption et de financements illégaux de partis politiques. Ce programme a largement dû revoir ses effectifs, et une équipe entière a dû partir. Au travers de ces suppressions d’emploi, c’est la qualité de l’information qui est touchée.
Les amis de Radio-Canada ironisent sur les restrictions budgétaires auxquelles doit faire face le diffuseur public.
Des journalistes comme muets
Ce qui permet à Alain Saulnier d’avoir une aussi grande liberté de parole, c’est qu’il ne travaille plus à Radio-Canada. Quand on contacte les journalistes de Radio-Canada pour qu’ils s’expriment suite aux coupes budgétaires, ou face aux critiques d’Harper, ils ne souhaitent pas afficher publiquement leur opposition aux actions du gouvernement. Le journaliste Claude Brunet montre l’exemple : « vous comprendrez que je dois refuser de vous répondre, je travaille pour la société Radio-Canada et comme journaliste, je ne peux pas faire part de mes opinions publiquement ». Il existe une particularité dans la façon de pratiquer le journalisme au Canada : on refuse à n’importe quel journaliste de prendre position, qu’elle soit politique ou à connotation sociale. Il est évident, de ce point de vue-là, que les journalistes sont pour la plupart très prudents, et ne vont pas donner leur opinion quant au fond. Gaétan Pouliot, journaliste à Radio-Canada, explique : « nous on a un code d’éthique à Radio-Canada, on a pas le droit de prendre position sur des enjeux de société très chauds, on est vraiment dans une position délicate. Sur la déclaration récente d’Harper, il réagit avec réserve: « nous on aime pas ça être classé comme gauchistes, nous sommes des séparatistes pour les francophones, on aime jamais se faire étiqueter, on aime bien notre indépendance, après je vais pas vous dire si c’est bien ou si c’est mal ». Selon le code éthique de Radio-Canada, les journalistes n’ont pas le droit de manifester, sinon ils risquent un « blâme à l’interne ». Radio-Canada dépend du gouvernement, mais le gouvernement agit comme si le diffuseur public était son pire ennemi. Comme la plupart des sociétés, les employés préfèrent ne pas critiquer leur entreprise, mais est-ce qu’un média d’information publique est une entreprise comme les autres ?
Lara Pekez