« L’Humanité forme un seul corps vivant »

De passage à Mouans-Sartoux le 15 février pour présenter En quête de sens, son dernier film, le journaliste indépendant, géographe de formation et réalisateur Nathanaël Coste a accordé un long entretien à Buzzles. Portrait d’un jeune trentenaire dynamique, atteint par le virus du voyage et dont le souhait est de voir la société se transformer.

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Il ne s’attendait pas à un tel succès. En quête de sens a attiré plusieurs centaines de personnes au cinéma La Strada de Mouans-Sartoux. Comme dans plusieurs autres villes françaises, certaines personnes n’ont même pas pu assister à la projection. Nathanaël Coste a travaillé pendant cinq ans avec un ami d’enfance, Marc de La Ménardière, pour réaliser ce film-documentaire. Depuis le début de l’année, il rencontre le public pour présenter le fruit de ses rencontres sur trois continents. Ce film remet en question la vision occidentale et propose des solutions altermondialistes aux crises sociétale et environnementale.

 

Nathanaël Coste, béret sur la tête, n’a pas encore l’habitude de s’adresser à des journalistes. C’est l’un de ses tout premiers entretiens. Ce n’est pourtant pas le premier film qu’il réalise. La mondialisation et ses conséquences étaient déjà au cœur de ses précédents documentaires. En quête de sens est plus particulièrement destiné à sa génération : les 20-35 ans. S’il fait salle comble depuis sa sortie mi-janvier — qui plus est, uniquement grâce au bouche-à-oreille —, c’est parce que « contrairement à ce que l’on pourrait penser, les gens ne sont pas réfractaires au positif et aux bonnes nouvelles ». D’après lui, ce succès illustre aussi le fait que les gens sont en quête d’un sens à donner à leur existence.

L’Afrique, « ma première baffe »

Nathanaël Coste est né à Paris, une ville où il « a grandi au contact  la diversité culturelle ». Ses parents travaillent dans le social et ont affaire à des gens venant des quatre coins du monde, parfois maltraités. « Mon père et ma mère m’ont transmis des valeurs comme la tolérance et l’écoute des autres », affirme-t-il. Après son bac, il commence des études à l’université, ce qui ne lui convient pas : « Je suis alors parti avec un ami en Afrique — au Sénégal, au Mali et au Burkina Faso — pendant trois mois. C’est là que j’ai attrapé le virus du voyage, en plus du virus de la dysenterie et du paludisme. À 18 ans, ça a été ma première baffe. Je me suis dit: « Est-ce que tout ce que j’ai appris pendant ma vie, c’était vraiment juste ? N’y a-t-il pas autre chose à comprendre ailleurs ? ». » Cette remise en question de son système de croyances, « cette rupture, ce grand malaise, c’est un peu ce qu’on décrit dans En quête de sens ».

De retour à Paris, il commence des études de géographie, gestion des espaces ruraux et développement local, qui ont renforcé son intérêt pour les enjeux environnementaux : « La géographie m’a permis de comprendre le rapport entre les êtres humains et notre milieu. Ça m’a ouvert tout le champ de l’expérience humaine et physique. »

« Tous les problèmes sont inter-reliés »

Nathanaël Coste se passionne pour l’image et devient journaliste indépendant. Il réalise plusieurs films qui mettent en lumière des problématiques environnementales, dont Eau douce, eau amère. « Il y a trois catégories de personnes : ceux qui sont dans le déni, ceux qui se plombent. Et il y a ceux dont je pense faire partie : ceux qui se bougent, qui tentent », observe celui qui se définit comme « une âme curieuse et un chercheur de questions », avec un fort attrait pour l’introspection.

En quête de sens propose une lecture holistique. Nathanaël Coste regrette que les savoirs aient été « saucissonnés » à l’école : « Tous les problèmes sont inter-reliés, on ne peut plus les traiter indépendamment les uns des autres. C’est l’approche holistique que défend Edgar Morin. L’Humanité forme un seul corps vivant, comme toutes les espèces. Il y a un équilibre à trouver. » En Bolivie, le réalisateur a rencontré des Indiens très attachés à la Pachamama, la Terre-Mère. Pour eux, prendre à la Terre plus que le nécessaire pour survivre n’est pas légitime : elle a des droits et elle nous permet de vivre, elle ne nous appartient pas. « Ce n’est pas du tout l’approche que nous avons en Occident, où, quand parle d’écologie, on a une approche quantitative, répressive et contraignante. »

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Nathanaël Coste, aux côtés d’Emma de Colibris 06, une ONG qui défend l’agro-écologie. (Crédit Photo : Nicolas Richen)

 

 

Des citoyens actifs

Face à un « ancien monde [celui du capitalisme, ndlr] qui est en train de s’effondrer », Nathanaël ne croit pas à la science comme issue ou aux fusées sur Mars, mais plutôt à un changement des mentalités qui viendrait d’abord des initiatives individuelles. Au lieu d’être cynique face aux réalités telle que la fin de certaines ressources naturelles, et à un système qui fera des réfugiés climatiques, chaque citoyen doit se poser des questions et créer des alternatives, selon le jeune trentenaire. « Moi, avec mes deux bras et mon petit cerveau de pigeon, comment je peux m’investir dans un projet qui me semble essentiel et utile ? Je peux créer des choses à ma petite échelle, qui m’épanouissent parce que je suis bien en les faisant. Ça rayonne, donc d’autres personnes vont en faire de même et suivre leurs rêves. Le changement se transmet de bouche-à-oreille, puis par l’effet de masse, l’effet d’exemple, et les réseaux sociaux. On n’est pas obligé d’attendre que ça vienne d’en haut. »

Et quid de la voie proposée par les transhumanistes ? Pour Nathanaël Coste, en plus d’être une fausse solution pour l’avenir de l’Humanité, c’est un danger. « L’Homme est suffisamment bien fait pour qu’on ne le bidouille. Et cela n’est pas vecteur de joie. Manipuler le vivant pour devenir des êtres supérieurs, devenir des co-créateurs de la vie, ça peut déboucher sur des dérives très importantes, comme on commence à le voir déjà aujourd’hui. Et ça va à l’encontre des croyances d’un milliard et demi d’individus, qui pensent que la Terre est une matrice vivante. » D’après le réalisateur, le transhumanisme pourrait accentuer les inégalités sociales : « La petite minorité qui s’engage dans une dérive transhumaniste nous met en danger. Il y aura ceux qui auront les moyens de devenir des êtres humains augmentés, et les autres… »

Dans les mois à venir, le jeune réalisateur souhaite que les gens s’approprient son dernier film et fassent naître d’autres projets similaires. Grâce à l’association  Kameah Meah qu’il a créée en 2011, et qui a permis à En quête de sens d’aboutir, il souhaite accompagner d’autres réalisateurs de documentaires indépendants dans la réalisation de leurs projets. L’idée est de privilégier l’autoproduction, de sortir des canons de production traditionnelle, pour garder une liberté éditoriale et que les citoyens s’approprient ce moyen d’expression. « Vous croyez que le public n’a pas envie de voir des films positifs, qui montrent que les choses avancent ? Bien sûr que si. La télévision cherche à abrutir les gens », s’agace le réalisateur, qui ajoute que la logique économique d’une distribution classique ne correspondait pas au projet d’En quête de sens.

« Une des grandes responsabilités des médias dominants aujourd’hui, c’est de participer à véhiculer le message que les citoyens sont impuissants, car le monde est trop compliqué. Le citoyen devrait seulement consommer et ne pas réfléchir. » Lutter contre ce discours ambiant pessimiste, démobilisateur et plaintif, c’est finalement le message que veut faire germer Nathanaël Coste auprès de son public.

Principaux films de Nathanaël Coste

Eaux douces, eaux amères (2009)

Agroconstruction : un brin de pratiques solidaires (2011)

Les semences prennent le maquis (2012)

Reverdir le Sahel (2013)

En quête de sens (2014)

Pauline Brisset  

Nicolas Richen