« Après Mai 68, j’étais plus épanoui »

Bernard Machu avait dix-huit ans pendant les événements de Mai 68. Il étudiait en prépa littéraire dans un lycée grenoblois. Devenu professeur d’histoire, il revient sur les évènements avec sa vision d’historien et de témoin.

Avant Mai 68, la vie est assez calme. La guerre d’Algérie est finie et la France est dans une période de croissance, ce qui permet d’assurer du travail pour tous. Le pouvoir politique est par contre très fort. « On avait l’impression qu’une chape de plomb recouvrait la société » détaille Bernard Machu. A cette époque, le « baby-boom » continue et malgré un effort consenti par l’Etat pour augmenter le nombre de places dans les universités et les lycées, ce n’est souvent pas suffisant. Avant Mai 68, Grenoble ne compte que trois lycées, et la construction de trois autres est en projet. « On avait quand même l’impression de manquer de place. Et surtout, on trouvait que les cours n’étaient plus adaptés, certains professeurs avaient commencé leur carrière dans les années 30. Il y a avait un choc culturel entre l’enseignement  et les étudiants, toujours plus nombreux et hétérogènes. »

Bernard Machu obtient son baccalauréat en 1967. Il intègre une classe préparatoire littéraire dans un lycée grenoblois, mais cet élitisme ne lui convient pas. Il n’est pas vraiment politisé, pourtant il prend part à certaines manifestations : « j’étais un jeune un peu naïf qui en a bien profité » consent-il. La ville de Grenoble est rapidement paralysée, les ouvriers bloquent les usines et les transports. Des grandes manifestations s’organisent, le 13 mai par exemple, quinze mille personnes descendent dans les rues grenobloises.

 Bernard Machu

Bernard Machu dans les années 70. (crédit photo DR)

Paris impressionne

Les jeunes aspirent à une vie moins cadrée, plus détendue. Mais les revendications sont diverses, entre les maoïstes, ceux qui veulent une révolution prolétarienne ou d’autres plus hippies. « Tout le monde essayait de faire entendre ses idées, mais tout était un peu flou. Cela a été perçu comme une pagaille totale. » Même si les manifestations ont bien été suivies dans la capitale des Alpes, les Grenoblois observent de près le mouvement parisien. « Paris, pour nous, c’était très impressionnant. Ils ont quand même failli faire tomber le pouvoir politique ! » Pour palier la crise, le 30 mai 1968, Charles De Gaulle prend la décision de dissoudre l’Assemblée nationale. « C’était un coup de génie ! Bon, même si c’était un peu injuste pour les députés. Mais avec cette dissolution, il fallait refaire une campagne électorale et donc la vie politique reprenait son cours. »

L’après Mai 68

Comme dans beaucoup d’autres villes de province, Mai 68 a continué dans les années qui suivirent. Bernard Machu rejoint la faculté d’histoire de Grenoble. « Il y avait des manifestations partout, des assemblées générales tout le temps, c’était la pagaille. » se souvient-il. Les changements se font réellement sentir dans les années 1970, quand tous les lycées deviennent mixtes. C’est aussi le début de la contraception. « Il y a eu une libéralisation de la façon de vivre. La société s’est décoincée dans tous les secteurs de la vie ordinaire et cela s’est fait progressivement ». Il ajoute en riant « c’est vrai que j’ai préféré avoir vingt ans en 1970, qu’en 1960. »

Bernard Machu a aussi repéré des changements dans sa propre personnalité et sa façon de vivre : « avant, j’étais un jeune propre sur lui, un petit bourgeois tout à fait ordinaire. Après Mai 68, je me suis senti plus épanoui. J’aspirais à une vie plus authentique, à des relations avec les gens plus sincères. » Et maintenant que lui reste-t-il de Mai 68 ? « Des cheveux blancs, plaisante-t-il. Non plus sérieusement, je pense que c’était bien de m’être retrouvé là à ce moment de ma vie. Il y a des valeurs qui restent. Comme essayer de trouver une certaine authenticité personnelle, une attitude de vie conforme à l’idéal que l’on a. » Et c’est ce qu’il a essayé de faire dans son métier, montrer que derrière le professeur d’histoire, il y a un homme « car je pense que c’est comme cela que l’on fait mieux son travail ».

Manon David