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Tatouage : la fin d’un tabou ?
Cet été sur la plage, il ne sera pas rare de croiser des personnes arborant fièrement des œuvres d’art inscrites sur leur peau. Alors qu’il y a quelques dizaines d’années, le tatouage était marginalisé, son adoption s’est largement démocratisée, notamment en France.
Le tatouage a été largement pointé du doigt lorsqu’il a émergé en France ; il a longtemps été le stigmate d’une certaine forme de débauche, ou considéré comme une marque de rébellion réprouvée par une majorité de la population, rétive à la propagation de cet art pourtant ancestral. Mais progressivement, depuis une trentaine d’années, le tatouage séduit de plus en plus d’individus, bien au-delà des classes populaires dans lesquelles il s’est d’abord installé. Du 6 au 8 mars 2015, Paris accueillait pour sa cinquième édition le Mondial du tatouage, réunissant quelques 300 artistes venus du monde entier . Dans le même temps, le Musée du Quai Branly présente une exposition qui lui est entièrement dédiée : Tatoueurs, tatoués, jusqu’au 18 octobre. Les événements mettant à l’honneur cet art singulier se sont multipliés au cours des dernières années, signe de son indéniable démocratisation. Du 4 au 6 avril dernier avait également lieu à Nice le Salon du tatouage, réunissant plus de cinquante tatoueurs de diverses nationalités. Ces manifestations qui célèbrent le tatouage ont, entre autres points communs, celui de fédérer un nombre toujours croissant de visiteurs, épris par ce mode particulier de personnalisation de son corps, qu’ils ont déjà adopté ou qu’ils s’apprêtent à tester. L’an dernier, le Mondial du tatouage avait ravi 27 000 personnes, soit près du double du chiffre de l’année précédente. Pas moins de 9 000 visiteurs se sont également déplacés jusqu’aux Studios Riviera de Nice le week-end du 5 avril, à l’occasion du Salon du tatouage.

Le tatouage est mis à l’honneur au Salon qui lui est consacré, à Nice. (Crédit photo : Romy Marlinge)
Pourquoi cette démocratisation ?
Le goût pour le tatouage et son acceptation culturelle se sont accrus au cours de ces dernières décennies, et les tatoueurs professionnels sont assez unanimes lorsqu’il s’agit d’en expliquer les raisons. Jeff, artisan tatoueur, attribue cette démocratisation aux émissions télé progressivement nées sur nos écrans – à l’instar de la plus célèbre de toutes, Miami Ink, diffusée sur la TNT. Pour Florian, apprenti tatoueur, ces émissions « ouvrent le milieu à plus de gens [et] aident à faire que ça se développe et se démocratise ». Nikola Traikovic, tatoueur professionnel, souligne quant à lui l’accroissement du nombre de salons de tatouages en France depuis une quinzaine d’années – les officines sont passées de 400 il y a vingt ans à 4000 aujourd’hui –, s’accompagnant d’une plus grande « facilité à accéder au monde du tatouage avec du matériel stérilisé et tout préparé ». Pour Florian, toutefois, « il y a quand même certaines personnes qui considèrent encore le tatouage comme assez marginal et sectaire. (…) Il y a des gens qui sont encore très réfractaires à ça ».

Plus de cinquante tatoueurs étaient présents au Salon du tatouage de Nice. (Crédit photo : Romy Marlinge)
Le revers de cette popularisation
Les tatoueurs reconnaissent que la France en particulier est, en dépit de cette popularisation patente, culturellement en retard sur ce sujet par rapport à d’autres pays, notamment « les États-Unis, où c’est vraiment ancré dans les mœurs depuis très très longtemps », avance Jonathan, tatoueur. Pour Nikolai, « en France, un jeune aux bras tatoués ou au visage percé dans une banque, c’est impossible ». « On est encore old school, la France est assez en retard sur certaines libertés », assure-t-il. Conséquence parfois déplorée de ce processus de démocratisation, le tatouage peut tendre à ne plus être qu’un accessoire esthétique, un élément à arborer pour participer à un effet de mode. Paradoxalement, l’effet de mode, qui est de fait éphémère, ne devrait pas s’appliquer à quelque chose d’aussi permanent qu’un tatouage. Natacha, dont les bras sont couverts de tatouages, regrette : « aujourd’hui, un tatouage ne revendique plus rien du tout, il y en a même qui se font tatouer juste pour se faire tatouer, pour suivre le courant ». Elle modère toutefois : « pas besoin que le tatouage ait une signification particulière, si on a envie de se faire encrer une œuvre d’art dans la peau, je ne vois pas en quoi c’est critiquable ». Nikolai Traikovic craint lui aussi que « le fond du tattoo » ait perdu de sa valeur, en même temps qu’il a perdu sa condition de stigmate.
Entre l’amélioration des machines, la découverte de techniques nouvelles d’impression, l’approfondissement des styles de dessin possibles, mais aussi la valorisation du tatouage à laquelle les médias ont progressivement contribué, ou encore son adoption massive par les célébrités du monde entier, le tatouage s’est véritablement ouvert à tous ces dernières années. Amandine, tatoueuse et pierceuse professionnelle, affirme même que « des gens à la retraite, qui n’osaient pas le faire avant, se font tatouer. (…) Il n’y a plus de soucis à ce niveau-là ». Du « petit mec bon chic bon genre au zonard, tout le monde se fait piquer. Il n’y a plus de classes sociales, c’est ouvert à tout le monde », soutient Nikolai. Autrefois marginal et réservé à des catégories précises de la population, assimilé à quelque chose de malpropre et trivial, le tatouage a acquis petit à petit ses lettres de noblesse. Que ce soit pour sa simple essence esthétique ou pour ce qu’il permet d’afficher comme revendication, il ravit aujourd’hui tout le monde – ou presque.
Romy Marlinge