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Nice : terre d’exil, terre d’accueil
Avocats, membres d’associations, spécialistes… ceux qui travaillent aux côtés des migrants luttent tous les jours contre les idées reçues sur l’immigration. Reportage en bordure de la Méditerranée, dans l’une des plus importantes terres d’immigration françaises : Nice.
Le 19 avril dernier, 800 migrants périssaient dans le tragique naufrage d’un chalutier au large de la Libye, énième catastrophe frappant les eaux de la Méditerranée. À quelques centaines de kilomètres de là, Nice, en région PACA, où vient s’installer une partie des populations réfugiées et immigrées. En France, les discours et pensées xénophobes ne cessent de croître. Ils s’expriment notamment par le vote Front national, lequel instille une peur de l’étranger et nourrit le fantasme selon lequel la France ploierait sous le poids des réfugiés. Pourtant, pour Swanie Potot, sociologue spécialiste du travail et des migrations à l’Université de Nice Sophia-Antipolis, si le nombre de demandeurs d’asile augmente régulièrement depuis 10 ans, « du fait de nombreux conflits dans des pays proches géographiquement, historiquement ou culturellement », le nombre d’attributions du statut de réfugié n’évolue guère. Les critères de reconnaissance des persécutions diffèrent d’une année à l’autre, mais évoluent de manière toujours plus restrictive.
Radidja milite dans le réseau Éducation Sans Frontières de Nice, qui sensibilise le public à la situation des enfants réfugiés. Elle-même issue de l’immigration, elle s’investit au quotidien dans son combat pour les réfugiés, entre son statut de bénévole et les campagnes électorales qu’elle a plusieurs fois entreprises. Elle confirme qu’il y a effectivement de plus en plus de rejets de demandes d’asile, et que la France « est loin d’être le pays qui accueille le plus ». Notamment par rapport au problème syrien, elle affirme que le nombre de réfugiés syriens que la France a accueilli est « ridicule ». À titre de comparaison, l’Allemagne octroie entre deux et trois fois plus de statuts de réfugiés que la France. Pour Radidja, l’Allemagne, qui a toujours connu des flux migratoires pareils à ceux de la France, a compris qu’elle avait besoin de l’immigration. Elle regrette le fait que « la France aujourd’hui n’est pas en capacité de le comprendre » et décrie le « lavage de cerveau » opéré par l’extrême droite et même par le gouvernement, la peur de l’étranger pouvant finir par contaminer l’ensemble de la population française.
« Eux ils n’ont rien, même pas un toit »
À Nice, dans le quartier de l’Ariane situé à l’est de la ville, qui accueille historiquement un nombre important d’immigrés, l’association Accueil Travail Emploi aide les demandeurs d’asile dans leurs démarches et leur intégration. Mehdi*, jeune Français d’origine étrangère habitant le quartier, estime que les nouveaux immigrants (arrivés après 1999) sont parfois plus favorisés que les populations en difficulté, qu’elles soient d’origine française ou non : « On n’a rien nous ». Aymen*, un autre jeune du quartier, casquette vissée sur le front et à l’air bienveillant, nuance : « C’est vrai et c’est faux. Il n’y a pas beaucoup d’arabes accueillis ici, il y a des réfugiés politiques. Mais nous on a déjà des centres d’accueil, un appartement. Eux ils n’ont rien, même pas un toit ».
En effet, cette aide est précieuse pour les demandeurs d’asile. Swanie Potot explique : « Une très petite minorité se trouve seule et démunie lors de son arrivée en France. Face aux besoins qu’ils rencontrent, l’État se désengage totalement de l’accueil des migrants irréguliers. Cette charge est laissée à des associations caritatives indépendantes qui ont peu de moyens. » À Nice, la municipalité menace de supprimer ses subventions aux associations à caractère social qui viendraient en aide aux étrangers sans papiers. Dans un même temps, tous les mardis soirs place Masséna, Radidja organise un cercle de silence avec son association Éducation Sans Frontières, cherchant à communiquer sur la situation des migrants. Au lieu de fustiger ceux qui éprouvent la peur de l’étranger, elle assure qu’il faut la comprendre, entendre ces gens qui sont « en souffrance », « leur dire que l’immigré n’est pas celui qui va leur prendre leur pain ». Petite, elle souffrait de voir « Mort aux arabes » inscrit sur les murs. Pour elle, le discours n’a pas changé, il s’est simplement amplifié. Et face à cette xénophobie croissante, elle estime qu’il ne faut pas pointer du doigt ceux qui font le choix de l’extrémisme, elle se dit au contraire pour une communication « bienveillante » : « c‘est ce qui est pour moi le plus important, et ça c’est pour notre humanité toute entière ».
*les prénoms ont été modifiés
Grégoire Bosc-Bierne
Romy Marlinge